Selon des chercheurs britanniques, 4 personnes sur 10 auraient un « faux » premier souvenir. Ces individus se fabriqueraient cette représentation mentale en associant des fragments d’expériences vécues, des photos ou des anecdotes familiales. Au fil du temps, cet événement fictif serait stocké dans la mémoire comme s’il avait vraiment eu lieu.

La mémoire peut jouer des tours : non seulement les souvenirs des premières années s’effacent mais en plus le cerveau en invente de nouveaux. C’est ce que révèle une vaste étude menée par les chercheurs de la City University de Londres et ses partenaires, publiée dans la revue Psychological Science. Après avoir interrogé 6.641 personnes, les scientifiques ont estimé que 38,6% d’entre eux avaient un « faux » premier souvenir. Une proportion non négligeable !

Pour parvenir à ce pourcentage, le docteur Shazia Akhtar et ses collègues ont demandé aux participants de détailler leur premier souvenir en précisant l’âge auquel ils pensaient l’avoir mémorisé. « Il leur a été expressément indiqué que le souvenir devait être issu de leur mémoire et non inspiré par une photographie, une histoire de famille ou par toute source autre que l’expérience directe » peut-on lire dans l’étude. Sur les 6.641 participants, 2.487 ont évoqué une scène s’étant déroulée lorsqu’ils avaient moins de trois ans et pour 893 d’entre eux, le premier souvenir remonte même à leur première année de vie.

Pas de souvenir avant 3 ans

Or, d’après plusieurs études, il est impossible de se rappeler d’événements vécus si tôt dans la vie. Des chercheurs ont en effet constaté en 2002 que « les enfants de moins de 3 ans exposés à un événement intéressant et nouveau montrent des signes de mémoire préverbale mais ne réussissent pas à traduire la mémoire dans la langue, que ce soit six mois ou un an plus tard ». Selon eux, ces résultats suggèrent que « le souvenir autobiographique durable d’un événement ne peut pas se former en-dessous de 3 ans, ou éventuellement, que ce souvenir ne pourrait pas être formulé verbalement ». Si les enfants de moins de 3 ans ne peuvent pas former de souvenirs autobiographiques complets, il n’est pas possible que des adultes se souviennent de cet âge. D’autres études ont d’ailleurs montré que l’émergence du premier vrai souvenir se situait quelque part entre 3 et 5 ans. En 2000, après avoir analysé plus de 11.000 souvenirs précoces d’adultes, des scientifiques avaient estimé l’âge du premier souvenir à environ 3,4 ans et pratiquement aucun en-dessous de l’âge de 3 ans.

Shazia Akhtar et son équipe ont ensuite analysé le contenu, la formulation, la nature et les détails de ces premiers souvenirs afin de comprendre pourquoi et comment 4 individus sur 10 en avaient établis de faux. Ils suggèrent que « la majorité des souvenirs datant d’un âge antérieur à deux ans sont fictifs et reposent à la fois sur des fragments d’expérience conservés en mémoire (une promenade en landau, une relation précise avec un membre de la famille ou encore une sensation de tristesse) et sur des faits ou des connaissances se rapportant à leur petite enfance ou leur enfance et pouvant provenir de photographies ou de conversations familiales ».

La mémoire infantile est malléable et imprécise

Ainsi, « ce que l’on évoque en se remémorant ces premiers souvenirs ne serait pas un véritable souvenir mais une représentation mentale consistant en l’association de fragments mémorisés d’expériences précoces et de faits ou de connaissances ayant trait à notre enfance » explique l’étude. Mariana Alonso, chercheuse à l’Institut Pasteur et spécialiste de la mémoire, nous explique que « la mémoire est modelable : un souvenir est modifié à chaque fois qu’on l’évoque. Lorsqu’on parle d’un événement ou qu’on se le remémore, on l’enrichit, on le coupe, on s’approprie des choses que l’on nous raconte ou des éléments vus sur des photos. Puis tout ça est stocké dans le cortex comme si ça avait été réellement vécu.« 

Le professeur Martin Conway, directeur du Centre d’étude de la mémoire de la City University of London et co-auteur de l’article, développe dans un communiqué : « Les souvenirs fictifs peuvent s’expliquer par le fait qu’un proche a pu dire, un jour, « ta mère avait un grand landau vert ». L’individu s’imagine alors dans la situation. Le temps passant, ces fragments se mettent à former un souvenir que la personne enrichit alors progressivement en ajoutant par exemple une barre de jouets ou d’autres objets. »

Pour Mariana Alonso, « les structures qui participent à la formation de la mémoire, comme l’hippocampe, ne sont pas encore bien formées chez les bébés ou les très jeunes enfants, ce qui explique en partie que l’on ne se rappelle pas de nos premières années. » En outre, la neurogénèse intense (la fabrication de nouveaux neurones) durant les premières années de la vie conduit à l’amnésie infantile. En effet, tous ces neurones créent de nouvelles connexions qui « éliminent » les connexions plus anciennes, ce qui conduit à la perte de mémoire. Cependant, des chercheurs canadiens ont réussi à ressusciter des souvenirs d’enfance qui semblaient perdus chez des souris. Cette prouesse indique que l’amnésie infantile serait majoritairement due à une diminution d’accessibilité de l’information plutôt qu’à un problème de stockage.

De nombreux exemples de faux souvenirs induits

L’étude souligne aussi le fait que « la proportion d’individus d’âge moyen et de personnes âgées concernée par ce phénomène est supérieure à celle des autres tranches d’âge ». Selon Mariana Alonso, c’est logique : « Si on évoque une scène de vie à chaque repas de famille, les chances que ce souvenir soit modifié sont augmentées : plus on l’évoque, plus il y a de chances qu’ils soit modifié, reconstitué. » Les résultats de l’équipe de Shazia Akhtar ne sont pas étonnants. En 2013, au cours d’une étude publiée dans la revue Science, des scientifiques avaient réussi à implanter un faux souvenir dans le cerveau d’une souris. Ils y étaient parvenus en infligeant au rongeur de légers chocs électriques tout en stimulant les neurones de son cerveau auxquels était associé le souvenir d’un certain contexte. Plus tard, lorsque la souris était replacée dans ce même contexte, elle se figeait de peur de se faire électrocuter alors que son souvenir initial n’était pas négatif. Il venait d’être modifié.

Dans le même genre, Julia Shaw et Stephen Porter, deux psychologues, avaient élaboré en 2015 une expérience démontrant à quel point il était simple de créer de faux souvenirs dans l’esprit d’une personne. Le but de l’expérience consistait à convaincre des sujets qu’ils avaient commis un crime ou un délit durant leur enfance. Pour ce faire, les scientifiques avaient recueilli de nombreux détails sur la vie de ces personnes auprès de leurs parents et en avaient agrémenté le « faux scénario du crime ». Au bout de quelques jours, près des deux tiers des individus interrogés étaient persuadés d’avoir réellement commis le crime, et se « souvenaient » même de détails complètement inventés comme des sons, des odeurs, un physique… Ils avaient donné vie au faux souvenir. Ce phénomène interroge d’ailleurs sur les condamnations à tort et la façon dont les aveux sont parfois tirés lors de procès criminel. De nombreux autres exemples de faux souvenirs existent. A tel point qu’une association a vu le jour pour mettre en garde la population contre ce phénomène et ceux qui en profitent (AFSI).

« Ce qui est essentiel, dans tout cela, c’est que la personne croyant se souvenir de cette scène ignore qu’elle est fictive. D’ailleurs, lorsqu’on lui dit que le souvenir est faux, elle a du mal à l’admettre. Pour comprendre ce phénomène, il faut bien se dire que les mécanismes de mémorisation sont très complexes, et que nous ne commençons à former des souvenirs semblables à ceux des adultes qu’aux alentours de 5 ou 6 ans, le temps que le cerveau se développe et que notre compréhension du monde atteigne un certain degré de maturité », conclut Martin Conway. Vous souvenez-vous du film Inception ?

[Source] https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/pres-de-40-des-gens-auraient-un-faux-premier-souvenir_126073


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Texte partagé par les Chroniques d'Arcturius - Au service de la Nouvelle Terre