J’ai découvert la pensée de Bergson pendant les cours de Jean Millet, bergsonien passionné, passionnant passeur. Je n’ai rien d’un émule, mais j’ai gardé une vive tendresse pour cet humaniste étincelant aux idées si neuves que la philo universitaire ne les a toujours pas acceptées.

Henri Bergson apporte un vent de fraîcheur et d’humanité dans une époque bouleversée, puisque sa vie s’est déroulée entre la Commune, la première et la deuxième guerre mondiale. Le monde d’alors, violent et matériel, était dominé par le nombre et la quantité Il avait grand besoin de chantres de la qualité, ce qu’il fut comme son contemporain René Guénon.  L’influence de Bergson fut considérable. A la fin du XIXe siècle et durant la première moitié du XXe siècle, il remit en question à la fois les philosophies intellectualistes, qui prétendaient accéder au réel par l’exercice de l’intelligence, et les solutions « scientistes », selon lesquelles la seule connaissance valable serait celle que procurent les sciences. (source)

C’est ça qui m’a plu quand j’avais 20 ans, la méfiance de ce type ! Bergson refuse aussi bien les héros surannés du cerveau raisonnant que les savants crédules pour qui seule la science a réponse à tout. Ça dépend quelle science… Il se démarque de ses potes comme de ses profs, oh que j’aime ça. Si sa rébellion est moins totale que celle de Nietzsche, Bergson a une façon de renvoyer dos à dos Platon et Descartes tout à fait délectable pour le potache que j’étais. Et que je suis toujours, on ne se refait pas.

Mon bon maître Millet avait accoutumé de dire qu’il y a trois grands hommes du début du 20e siècle qui illustrent la même tendance intérieure, un philosophe, un romancier et un poète. Le philosophe est Henri Bergson, le romancier Marcel Proust et le poète Paul Valéry« A la disparition d’Henri Bergson, Paul Valéry saluait « le plus grand philosophe de notre temps ». Après des siècles de primat de la raison, Bergson avait révolutionné la pensée en y introduisant l’intuition comme méthode pour connaître et comprendre la vie. Explorateur de la conscience s’appuyant sur les récentes découvertes en psychologie, scientifique proche d’Albert Einstein, il développa une théorie de la durée comme expression de notre moi profond. Ainsi la philosophie retrouva-t-elle avec lui l’importance de la vie intérieure et de la spiritualité par opposition à une vision matérielle du monde. » (source)

Bergson a écrit plusieurs œuvres fondamentales, Matière et mémoire, L’évolution créatrice, Le rire, L’énergie spirituelle. Chacun de ces ouvrages mérite un article nourri, pourvu que Dieu me prête vie. Pour l’instant, j’ai choisi son premier essai. Il donne le ton de l’œuvre entière et fournit une bonne introduction à la pensée bergsonienne. Publié en 1888,  ce premier ouvrage s’intitule Essai sur les données immédiates de la conscience. N’ayez pas peur du titre, la suite est plus claire. De ce livre sont tirées les citations qui suivent, dont je fais l’examen critique sur un mode bienveillant mais implacable. Qui aime bien châtie bien.

La communication

« Nous nous exprimons nécessairement par des mots, et nous pensons le plus souvent dans l’espace. »  (source)

Eh non, maître Henri, ça commence mal : je récuse votre « nécessairement ». C’est vrai que nous nous exprimons par les mots, mais nous nous exprimons aussi au-delà et en-deça des mots. Au-delà des mots : par le langage muet de la transmission de pensée ou plutôt de la transmission d’émotions, par le biais des ondes scalaires. Ou encore par la communication silencieuse d’âme à âme, de moi supérieur à moi supérieur. En-deça des mots : par le langage du corps. Un bon observateur peut déduire une foule de chose en détaillant les gestes, les attitudes, les expressions et les grimaces de ses interlocuteurs. Inversement, quand nous sommes privés du langage du corps, devant un texte écrit par exemple, on a parfois bien du mal à interpréter ce qu’on lit. D’où l’invention des émojis, pour pallier tant bien que mal cette absence.

J’ai souvent insisté sur la triple communication qui s’instaure toujours entre les êtres, le plus souvent à leur insu. Ils se parlent, ils supposent que leur échange se limite à ces paroles. Henri Bergson, tout philosophe qu’il est, croyait cela parce que son époque n’admettait rien d’autre. La psychologie des profondeurs n’en était qu’à ses timides débuts, et la quête de l’éveil réservée à une poignée d’illuminés. Grâce à des sages comme lui, justement, la seconde moitié du 20e siècle s’est ouverte à d’autres modes de communication non verbale, tels ceux que je viens d’évoquer.

Nous sommes un amalgame de trois personnes emboîtées les unes dans les autres, telles des poupées russes. Le moi du corps, notre personne la plus matérielle, est enveloppée par l’aura, notre personne spirituelle, totalement immatérielle : le moi de l’esprit. Entre les deux, pour faire le lien entre ces deux personnes issues de deux mondes irréconciliables, il y a le corps subtil, ou corps astral : le moi du cœur. Tel est le sens caché de la Sainte Trinité, qui s’applique à chacun de nous – la meilleure façon de devenir dieu ! Si ce sujet vous intéresse, reportez-vous à l’article Nos trois personnes.

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Le temps

« Si je parcours des yeux une route tracée sur la carte, rien ne m’empêche de rebrousser chemin et de chercher si elle bifurque par endroits. Mais le temps n’est pas une ligne sur laquelle on repasse. »  Eh si, bien sûr ! Le temps est aussi une ligne ! On peut même voyager dessus ! Mais ça Bergson ne pouvait pas le savoir. La porte du temps n’était pas encore ouverte.

Bergson ajoute un peu plus loin : « Le temps peut-il se représenter adéquatement par de l’espace ? » – A quoi nous répondons : oui, s’il s’agit du temps écoulé ; non, si vous parlez du temps qui s’écoule. »

C’est le point-clé de la pensée bergsonienne, une notion jamais abordée avant lui. Il y a le temps qui se mesure, celui des chronomètres et de la science, un paramètre froid comme un poisson mort. Et il y a le temps qui ne se mesure pas, qui est subjectif et incomparable, qui est élastique et malléable, le temps de l’instant, le temps vécu que Bergson appelle la durée. Bergson est le philosophe de la qualité, une notion qui échappe largement à la science, qui ne se soucie que du quantifiable. La qualité ne se mesure pas, ne se compare pas, ne se met pas en courbes ni en équations. Si Bergson n’avait pas pointé ce fait, des philosophies de l’action subjective comme celle de Carlos Castaneda n’auraient jamais pu éclore.

L’avenir

« Ce qui fait de l’espérance un plaisir si intense, c’est que l’avenir, dont nous disposons à notre gré, nous apparaît en même temps sous une multitude de formes, également souriantes, également possibles. Même si la plus désirée d’entre elles se réalise, il faudra faire le sacrifice des autres, et nous aurons beaucoup perdu. L’idée de l’avenir, grosse d’une infinité de possibles, est donc plus féconde que l’avenir lui-même, et c’est pourquoi l’on trouve plus de charme à l’espérance qu’à la possession, au rêve qu’à la réalité. »

Une idée simple, que chacun peut approuver. Rêver l’avenir est souvent plus gratifiant que vivre le présent, le fait est connu. Mais ce fait quotidien, voire banal, devient un puissant paradoxe quand on l’habille en philosophe. À son époque, le paradoxe est même tellement nouveau que le pauvre Bergson se prend les pieds dans le tapis. Jugez plutôt : « L’idée de l’avenir est plus féconde que l’avenir lui-même » énonce-t-il, sans réaliser que l’avenir n’est jamais qu’une idée. En effet, quand l’avenir se réalise, il est le présent. Il aurait dû dire : « L’avenir est plus cool que le présent » Mais là on quitte la philo pour s’asseoir au café du commerce.

Quand tu auras renoncé à l’espérance, je t’apprendrai la volonté. (Sénèque)

« Lorsqu’on demande si une action future pourrait être prévue, on identifie inconsciemment le temps dont il est question dans les sciences exactes, et qui se réduit à un nombre, avec la durée réelle, dont l’apparente quantité est véritablement une qualité, et qu’on ne saurait raccourcir d’un instant sans modifier la nature des faits qui la remplissent. »  Bergson nous ramène à son intuition maîtresse, l’existence inconciliable de deux descriptions du temps, celle, mesurable, de la science, et celle de la durée vécue, non quantifiable par essence …et par existence !

Une idée comme celle-ci pourrait être vue comme une préfiguration d’une philosophie émergente, l’existentialisme, tel que défini par la forte maxime de Sören Kierkegaard : « L’existence fait éclater tous les systèmes. »  Bergson aussi…

« Il faut savoir attacher un prix à l’inutile, il faut vouloir rêver. L’homme seul est peut-être capable d’un effort de ce genre. »  (Henri Bergson, Matière et Mémoire)

[Source] http://eden-saga.com/


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Texte partagé par les Chroniques d'Arcturius - Au service de la Nouvelle Terre