Pourquoi sommes-nous si sûrs qu’il est impossible, pour nous et pour la nouvelle génération, de provoquer une modification fondamentale dans les rapports humains, grâce à une éducation appropriée?
Nous ne l’avons jamais essayé, et, comme la plupart d’entre nous semblent redouter l’éducation dont je parle, nous ne sommes pas enclins à l’essayer. Tout en évitant d’examiner la question à fond, nous affirmons que la nature humaine ne peut pas être changée, nous acceptons les choses telles qu’elles sont et encourageons l’enfant à s’adapter à la société actuelle ; nous le conditionnons selon notre façon de vivre, et faisons des voeux pour qu’il s’en tire le mieux possible. Mais est-ce qu’un tel façonnement basé sur nos valeurs en cours, qui nous mènent à la guerre et à la famine, peut être appelé éducation ?
Ne nous faisons pas d’illusions en pensant que ce conditionnement développera l’intelligence et instaurera le bonheur. Si nous demeurons craintifs, dénués d’affection, désespérément apathiques, cela indique que nous n’avons pas vraiment le désir d’encourager l’individu à s’épanouir en amour et en humanité, mais que nous préférons le voir prendre la suite des misères dont nous nous sommes chargés et dont il fait lui-même partie. Conditionner l’enfant jusqu’à lui faire accepter son milieu tel qu’il est, est une évidente sottise. Tant que nous n’introduirons pas un changement radical dans l’éducation, nous serons directement responsables de la perpétuation du chaos et de la misère. Et lorsque survient enfin une révolution monstrueuse et brutale, elle ne fait que donner la possibilité à un autre groupe de personnes d’exploiter à leur tour sans pitié. Chaque groupe au pouvoir met en action ses propres moyens d’oppression, soit par la persuasion psychologique, soit par la force brutale.
Pour des raisons politiques et industrielles, la discipline est devenue un facteur important dans la structure sociale actuelle, et c’est à cause de notre désir d’être psychologiquement en sécurité que nous acceptons et pratiquons diverses formes de contraintes. Elles garantissent un résultat, et nous estimons la fin plus importante que les moyens, bien que ce soient les moyens qui déterminent la fin.
Un des dangers de la discipline est que le système devient plus important que les êtres humains qui y sont enfermés. Il se transforme en un succédané de l’amour et c’est parce que nos coeurs sont vides que nous nous attachons à lui. La liberté ne se fait jamais jour à travers des disciplines, à travers des résistances. Elle n’est pas un but, une fin à atteindre: la liberté est au début, non à la fin, elle ne se situe pas dans quelque idéal lointain. Liberté ne veut pas dire occasion trouvée de satisfaire un goût personnel ou de négliger le respect d’autrui. L’éducateur sincère protégera l’enfant et l’aidera de toutes les façons possibles à se développer dans le sens d’une liberté réelle ; mais il lui sera impossible de le faire s’il est lui-même inféodé à une quelconque idéologie, s’il est en aucune façon dogmatique, ou mû par une recherche personnelle.
La sensibilité ne peut jamais être éveillée par la contrainte. L’on peut obliger l’enfant à se tenir tranquille, mais agir de la sorte c’est ne pas avoir rencontré face à face cela même qui fait que l’enfant est obstiné, insolent, etc. La domination engendre l’antagonisme et la peur. Les récompenses et les punitions, sous n’importe quelle forme, ne font qu’asservir et alourdir l’esprit, et si c’est cela que nous voulons, l’éducation par la contrainte est un procédé excellent. Mais une telle éducation ne nous aide pas plus à comprendre l’enfant qu’elle ne peut construire un milieu où le sens de séparation et la haine ont cessé d’exister. L’amour que l’on a pour l’enfant contient à lui seul en puissance toute l’éducation. Mais la plupart d’entre nous n’aiment pas leurs enfants ; ils ont de l’ambition pour eux, ce qui revient à dire qu’ils en ont pour eux-mêmes, personnellement. Malheureusement, nous nous donnons tant à faire avec les occupations de l’esprit que nous avons peu de temps pour les élans du coeur. Après tout, discipline veut dire résistance, et la résistance peut-elle jamais engendrer l’amour? La discipline ne peut que construire des murs autour de nous ; elle n’engendre pas l’entendement ; car la compréhension est le fruit de l’observation, de la recherche, lorsque tous les préjugés ont été mis de côté.
La discipline est un moyen facile d’avoir l’enfant en main, mais elle ne l’aide pas à comprendre les problèmes que pose la vie. Une certaine forme de contrainte, une discipline comportant des punitions et des récompenses peuvent être nécessaires pour maintenir l’ordre et une tranquillité apparente, lorsqu’un grand nombre d’élèves se trouvent entassés dans une classe ; mais un bon éducateur, n’ayant à s’occuper que d’un petit nombre d’élèves, aurait-il besoin d’un régime d’oppression, poliment intitulé discipline? Si les classes sont peu nombreuses et que le maître peut accorder toute son attention à chaque enfant, l’observer et l’aider, la contrainte ou la domination ne sont évidemment nécessaires sous aucune forme. Si, dans un tel groupe, un élève persiste à créer du désordre, et est déraisonnablement chahuteur, l’éducateur doit s’enquérir de la cause de sa mauvaise conduite, qui peut être un mauvais régime alimentaire, un manque de repos, des conflits familiaux ou quelque peur secrète.
Implicite dans l’éducation dont je parle, est la culture de la liberté et de l’intelligence, qui est impossible sous quelque forme de contrainte qu’accompagne la peur. Après tout, le rôle de l’éducateur est d’aider l’élève à comprendre les complexités de son être entier. Exiger de lui qu’il refoule une partie de sa nature au bénéfice d’une autre, c’est créer en lui un interminable conflit, lequel aboutit à des conflits sociaux. C’est l’intelligence qui engendre l’ordre, non la discipline.
La conformité et l’obéissance n’ont aucune place dans une éducation vraie. La coopération entre le maître et l’élève est impossible s’il n’existe pas une affection réciproque, un mutuel respect. Lorsque les signes du respect pour ses aînés sont exigés de l’enfant, ils deviennent en général une simple habitude, une série de gestes purement extérieurs et la peur assume l’aspect de la vénération. Sans respect et considération pour autrui, il n’y a pas de relation vivante possible, surtout lorsque le maître n’est que l’instrument de son propre savoir. Si le maître exige le respect de ses élèves et en a très peu pour eux, cela provoquera évidemment de l’indifférence et un manque de déférence. Si l’on n’a pas d’égards pour la vie humaine, le savoir ne conduit qu’à la destruction et à la misère. La culture du respect pour autrui est un élément essentiel de l’éducation, mais si l’éducateur ne possède pas lui-même cette qualité, il ne peut pas aider ses élèves à atteindre une vie intégrée. L’intelligence est la perception de l’essentiel, et pour discerner l’essentiel il faut être libre des obstacles que projette l’esprit à la recherche de sa propre sécurité et de son confort.
La peur est inévitable tant que l’esprit est à la recherche d’une sécurité ; et lorsque les êtres humains sont enrégimentés sous quelque forme que ce soit, l’acuité de l’esprit et l’intelligence sont détruites. Le but de l’éducation est d’établir des rapports intelligents, non seulement entre un individu et l’autre, mais aussi entre l’individu et la société en général ; et c’est pourquoi il est essentiel que l’éducation, d’abord et surtout, aide à la fois le maître et l’élève à comprendre leurs propres processus psychologiques. L’intelligence consiste à se comprendre, et à aller au-dessus et au delà de soi-même ; mais il ne peut pas y avoir d’intelligence tant que subsiste la peur, laquelle pervertit l’intelligence et est une des causes de l’action égocentrique.
La discipline peut refouler la peur, mais ne la déracine pas, et les connaissances superficielles que nous dispense l’instruction moderne ne font que l’enfoncer en nous plus profondément. Au cours de notre jeunesse, dans la plupart de nos foyers et de nos écoles, on nous instille la peur. Ni les parents ni les maîtres n’ont la patience, le temps ou la sagesse de dissiper les craintes instinctives de l’enfance, lesquelles, au fur et à mesure que nous grandissons, dominent notre comportement et notre jugement, et créent un grand nombre de problèmes. L’enseignement dont je parle doit prendre en considération cette question, car la peur pervertit toute notre notion de l’existence. Être affranchi de la peur est le commencement de la sagesse, et une éducation digne de ce nom provoque en nous cette libération qui, seule, peut éveiller une intelligence assez profonde pour être créatrice.
La récompense ou la punition pour une action quelle qu’elle soit, ne fait que renforcer l’égocentrisme. Agir pour le compte et dans l’intérêt d’autrui, au nom de la patrie ou de Dieu, conduit à la peur, et la peur ne peut pas être à la base d’une action juste. Si nous voulons aider un enfant à avoir des égards pour les autres, nous ne devons pas le soudoyer en invoquant l’amour, mais lui expliquer ce qu’est le respect d’autrui, en y mettant la patience et le temps qu’il faut. Il n’y a pas de respect pour autrui lorsqu’intervient l’idée de récompense, car l’avantage que l’on y cherche ou la punition que l’on redoute deviennent bien plus importants que le sentiment du respect. Si nous n’avons pas de respect pour l’enfant, mais agissons sur lui par des promesses et des menaces, nous développons en lui à la fois le sens d’acquisition et la peur. Parce que nous avons été instruits nous-mêmes à agir en vue d’obtenir des résultats, nous ne voyons pas qu’il peut exister une action libre de tout désir d’acquisition.
Un enseignement véritable encourage la réflexion personnelle et le respect d’autrui sans stimulants et sans menaces d’aucune sorte. Aussitôt que nous cessons de rechercher des résultats immédiats, nous commençons à voir combien il est important que l’éducateur et l’enfant soient tous deux affranchis de la peur des punitions et de l’espoir des récompenses, ainsi que de toute autre forme de contrainte. Mais la contrainte subsistera tant que l’autorité interviendra dans les relations mutuelles. S’assujettir à l’autorité offre de nombreux avantages à ceux qui pensent en termes de profits et de mobiles personnels. Mais l’éducation basée sur l’avancement individuel et le bénéfice ne peut que construire une structure sociale de concurrence, d’antagonismes et de brutalité. C’est dans une société de cette sorte que nous avons été élevés, et notre état d’hostilité et de confusion est évident. Nous avons appris à nous conformer à une autorité ou à un maître, à un livre ou à un parti, parce que cela nous est avantageux. Les spécialistes de toutes les différentes activités de la vie, depuis le prêtre jusqu’au bureaucrate, manipulent l’autorité et nous assujettissent. Les gouvernements ou les instructeurs qui emploient la contrainte ne peuvent pas obtenir, dans les relations humaines, la coopération nécessaire au bien-être de la société.
Si nous voulons que s’établissent des rapports de vérité entre les êtres humains, nous ne devons user ni de contrainte ni même de persuasion. Comment l’affection et une coopération sincère peuvent-elles exister entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui le subissent? Mais en considérant sans passion cette question de l’autorité et ses nombreuses implications, en voyant que le seul désir de puissance est en soi destructif, il se produit une compréhension spontanée de tout le processus de l’autorité. Dès l’instant que nous écartons l’idée d’autorité, nous nous trouvons associés les uns aux autres, et alors la coopération et l’affection mutuelle deviennent possibles. Le véritable problème de l’éducation, est l’éducateur. S’il use d’autorité comme moyen pour se dégager, pour se réaliser lui-même, si l’enseignement est pour lui une expansion personnelle, même un petite groupe d’élèves peut devenir l’instrument de son ambition.
Mais un simple accord intellectuel, ou verbal, sur les effets paralysants de l’autorité, serait sot et vain: il nous faut avoir une vision profonde des motifs secrets de l’autorité et de la domination. Si nous voyons que l’intelligence ne peut jamais être éveillée par la contrainte, la conscience même de ce fait, réduira nos peurs en cendres, et nous commencerons alors à cultiver un milieu nouveau qui sera contraire à l’ordre social actuel et le transcendera considérablement. Pour comprendre le sens de la vie, de ses conflits et de ses douleurs, il nous faut penser indépendamment de toute autorité, y compris celle des religions organisées. Mais si, dans notre désir d’aider l’enfant, nous plaçons devant lui des exemples impressionnants, nous n’éveillons en lui que la peur, l’imitation et différentes formes de superstitions. Les personnes de tendance religieuse essayent d’imposer à leurs enfants les espoirs et les craintes qu’elles ont reçu de leurs propres parents ; et les personnes anti- religieuses sont également désireuses d’influencer leurs enfants et de leur faire accepter leur façon particulière de penser. Nous voulons tous que nos enfants adoptent notre forme de culte et qu’ils prennent à coeur les idéologies que nous avons choisies. Il est si facile de s’embourber dans des images et des formulaires, inventées par nous-mêmes ou par d’autres! C’est pourquoi il est nécessaire d’être toujours attentif et en éveil.
Ce que nous appelons religion n’est que croyance organisée, avec accompagnement de dogmes, de rituels, de mystères et de superstitions. Chaque religion a ses livres sacrés, ses médiateurs, ses prêtres et ses façons de menacer et de dominer. Nous avons, pour la plupart, été conditionnés en fonction de tout cela, et c’est ce que l’on appelle une éducation religieuse. Mais ce conditionnement dresse l’homme contre l’homme, et engendre l’antagonisme, à la fois parmi les croyants et contre les autres appartenances.
Bien que toutes les religions affirment qu’elles rendent un culte à Dieu et proclament que nous devons nous aimer les uns les autres, elles instillent la peur, en se servant de leurs doctrines basées sur la récompense et le châtiment. Et leurs dogmes rivaux perpétuent les suspicions et les luttes. Dogmes, mystères, rituels: rien de tout cela ne conduit à une vie spirituelle. L’éducation religieuse, dans le vrai sens de ce mot, consiste à encourager l’individu à comprendre les rapports qu’il entretient avec ses semblables, avec les objets, avec la nature. Il n’y a pas d’existence sans relation, et sans la connaissance de soi toutes les relations, personnelles et collectives, sont des causes de conflits et de douleurs. Certes, il est impossible d’expliquer pleinement tout cela à l’enfant ; mais si l’éducateur et les parents saisissent profondément tout ce que comportent les relations humaines, ils pourront, par leur attitude, leur comportement et leur langage, faire comprendre à l’enfant, sans trop de mots et d’explications, ce qu’est une vie spirituelle.
Extrait d’un texte de krishnamurti
[Source] https://prendresoindenosenfantsquantiques.wordpress.com/
- POSER UN GESTE D'AMOUR -
Une contribution volontaire
aide véritablement à maintenir ce site ouvert
et ainsi vous devenez un Gardien Passeurs en action.
CLIQUEZ ICI POUR CONTRIBUER
Merci
Texte partagé par les Chroniques d'Arcturius - Au service de la Nouvelle Terre