Si, à l’inverse d’autres livres sacrés, le Coran aborde sans détour la question de la sexualité, l’islam semble aujourd’hui obsédé par la pudeur et les interdits. « Misère sexuelle », « panne libidinale », « oppression des femmes » : de Kamel Daoud à Mona Eltahawy ou à Leïla Slimani, nombre d’intellectuels, d’artistes ou d’activistes s’insurgent contre le puritanisme ambiant, contribuant à libérer la parole et les mœurs. Le point avec Radouane Attiya, islamologue, assistant chercheur à l’université de Liège (Belgique).

L’islam semble aujourd’hui obsédé par la pudeur. Cela a-t-il toujours été le cas ?

Pour répondre, il faut retourner aux références scripturaires qui structurent le mental des communautés musulmanes : Coran, Hadith (paroles du Prophète), ainsi que tout l’arsenal exégétique qui vient se greffer autour d’eux. La question de la pudeur est centrale dans la cité musulmane, toutes périodes confondues. Et si les textes affirment l’égalité ontologique de l’homme et de la femme face au Créateur, ce n’est pas le cas sur la question de la pudeur. Bien que l’homme soit lui aussi invité à une forme de pudeur, la femme demeure un objet sexuel avant d’être un sujet, et doit à ce titre se vêtir et se comporter selon des codes discriminants. La pudeur structure la cité musulmane jusqu’au « moment moderne » – pour reprendre le terme de l’historienne Nadine Picaudou – où les pays musulmans se découvrent un retard prononcé face à l’Occident, au XIXe siècle. Mais ce « moment moderne » va-t-il pour autant libérer le monde musulman de sa panne libidinale ? C’est toute la question.

Une veine amoureuse et érotique a-t-elle malgré tout pu s’exprimer dans la civilisation islamique ?

Il y a un avant et un après l’avènement de l’islam sur la question de l’éros, le Coran abordant sans détour la sexualité, même s’il le fait dans une tonalité parfois phallocrate. « Vos femmes sont pour vous un labour, venez à ce labour comme vous le désirez » (sourate 2, 223) : le ton est donné. Alors que l’égalité ontologique initiale prônée par le Coran aurait pu mener à une véritable égalité entre les sujets, la veine juridique va accentuer et perpétuer l’inégalité homme-femme sur le plan sexuel. Toutefois, certains théologiens orthodoxes ont eu une approche particulièrement audacieuse : au IXe siècle, al-Jahiz traite la question de l’érotisme en confrontant un « hétérosexuel » et un pédéraste (« homosexuel » serait anachronique) ; al-Suyuti, aux XIVe et XVe siècles, aborde, lui, les rapports charnels avec une précision quasi chirurgicale. Mais si l’expression varie, elle reste généralement pudibonde et traitée sous l’angle normatif : quel est le statut de la fellation, du coït anal… Il existe un intérêt quasi obsessionnel et jamais démenti pour ces questions. C’est dans la littérature élitiste qu’il faut fouiller pour trouver des envolées érotiques.

Depuis quelques années, nombre d’artistes et d’intellectuels de culture arabo-musulmane s’insurgent contre le puritanisme ambiant. Le monde musulman est-il prêt, selon vous, à faire sa « révolution sexuelle » ?

Le monde arabo-musulman vit une crise sociale, politique, économique, mais aussi religieuse et sexuelle. Le philosophe Abdelwahab Bouhdiba, dans La Sexualité en islam (1975), expliquait déjà que la crise de la sexualité en terre d’islam est le pendant de la crise religieuse. On observe, de fait, une libéralisation des moeurs : alors que la pratique sexuelle dans le monde musulman était jadis apparentée à une forme de rite où la chair était mythifiée et le coït vu comme un acte d’adoration liant l’individu à la transcendance, la sexualité est aujourd’hui démystifiée. Cela procède peut-être d’une révolution sexuelle qui ne dit pas son nom. Pour autant, la libération de la femme n’a pas encore eu lieu. Car dans ces sociétés postcoloniales, ce sont la famille et la religion qui ont permis aux communautés musulmanes de faire rempart à toute forme d’assimilation. Aujourd’hui, ces deux piliers sont en train de s’effriter pour laisser place à une libéralisation de la parole et de la pratique sexuelle. Et à l’inverse, la sexualité est devenue pour certains un « nouveau creuset de la normativité islamique ». D’où l’existence de deux tendances extrêmes : d’un côté, la femme portant le niqab, ce qui est une manière dévoyée d’afficher sa sexualité, et de l’autre, l’homosexuel qui brave la normativité islamique tout en assumant son islamité, comme le fait remarquer la sociologue Nilüfer Göle. Le phénomène du « djihad sexuel », bien qu’infime dans sa manifestation, prolonge également cette crise sexuelle qui traverse le monde musulman. Au fond, une érotisation de l’islam européen révolutionnerait assurément l’éros islamique en terre d’islam, et permettrait enfin l’émergence d’une « femme sujet », libre, et non plus objet de jouissance, s’assumant sexuellement.

L’islam doit-il faire sa révolution sexuelle ? Une rencontre avec l’écrivain Kamel Daoud, le sociologue Abdelwahab Bouhdiba, la poétesse Salwa Al Neimi et la sexologue Nadia El Bouga se tiendra dimanche 7 octobre 2018 de 15 h 30 à 17 heures à l’Opéra Bastille (amphithéâtre) dans le cadre du Monde Festival.

[Source] http://www.lemondedesreligions.fr/


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Texte partagé par les Chroniques d'Arcturius - Au service de la Nouvelle Terre