L’écrivain de science-fiction imaginait un monde utopiste, mais traversé par de nombreuses crises. Avait-il vu juste?
À quoi pourrait bien ressembler le monde dans plusieurs décennies? Exercice difficile d’analyse de notre société et d’imagination auquel prospectivistes, chercheurs et écrivains se livrent régulièrement. Mais le plus intéressant reste de confronter ces prédictions aux faits, surtout quand leur auteur est l’un des plus grands noms de la science-fiction.
Justement, le 31 décembre 1983, le Toronto Star publiait un texte de l’écrivain Isaac Asimov, inventeur du terme « robotique » et détenteur du prix de la meilleure série de science-fiction/fantasy de tous les temps (cycle de Fondation). Celui-ci avait imaginé pour le journal à quoi pourrait ressembler le monde en 2019, d’ici 35 ans. Un exercice auquel il s’était déjà livré en 1964, rêvant la société de 2014.
Pourquoi cette date? Tout simplement car le roman 1984 de George Orwell a été publié en 1949, 35 ans plus tôt. De ce clin d’oeil est né un long texte où Isaac Asimov développe sa vision (clairement optimiste) d’un monde futur. Celui-ci dépend de trois éléments, pour l’auteur: « guerre nucléaire, informatisation et utilisation de l’espace ».
Un futur optimiste
Pour commencer, Asimov commence par évacuer d’emblée la possibilité d’une guerre nucléaire. Une hypothèse « pas spécialement sûre », mais nécessaire à l’exercice. Car dans le cas inverse, « trop peu d’entre nous, ou de nos enfants ou petits enfants, seront en vie » pour décrire « la condition de la misère mondiale ». Jusqu’à aujourd’hui, cette prédiction s’est révélée juste.
Le reste de sa vision de 2019 s’articule donc autour de deux points principaux, et notamment le développement gigantesque de l’informatique. L’auteur compare, dès 1984, le changement à venir à la première révolution industrielle. Une analogie régulièrement utilisée aujourd’hui. Et prédisait déjà que « le changement, cependant, sera plus rapide cette fois et la société va devoir s’adapter plus vite; peut-être plus vite qu’elle ne le peut ».
Mais, encore une fois, Asimov se veut optimiste pour l’espèce humaine. « D’ici 2019, cependant, nous devrions être à la fin de cette transition ». Malheureusement, les événements de ces dernières années ne lui ont pas encore donné raison.
Pour autant, la façon dont Asimov imagine les bouleversements du monde dans le détail sont d’une grande finesse. Notamment car, plutôt que de ne faire que prédire de nouveaux objets ou outils technologiques, il imagine l’impact sur l’humain, sur l’humanité, d’une civilisation à l’aube d’un bouleversement technologique.
Voici quelques exemples de ses bonnes et mauvaises prédictions.
Sur les ordinateurs et les robots
En 1984, les ordinateurs commencent vraiment à être partout, et même « à se frayer un chemin dans la maison », note Isaac Asimov. C’est l’époque de l’essor d’Apple, quelques semaines avant la sortie du premier Macintosh.
Pour l’auteur, à moins d’une révolution Luddite (du nom des casseurs de métiers à tisser de la révolution industrielle), cette tendance devrait s’accentuer d’ici 2019 car « la complexité croissante de notre société nous empêchera de faire sans » les ordinateurs.
Difficile de lui donner tort aujourd’hui, alors que notre monde est noyé sous les données, où notre vie est stockée numériquement, où l’intelligence artificielle est appelée à la rescousse pour résoudre les problèmes mondiaux.
Isaac Asimov fait par contre une erreur d’appréciation en croyant qu’en 2019, les robots, si chers à l’auteur, auront « pénétré le foyer ». Il n’était pas loin pour autant, car il présente ces machines comme des « objets informatisés mobiles ». Sauf que cet objet a la forme d’un smartphone et non d’un androïde. Et, mine de rien, de plus en plus de robots, à la forme plus ou moins humanoïde, sont présents dans les lieux publics.
Sur le travail et l’automatisation
Pour Asimov, l’informatisation de la société allait inévitablement « changer nos habitudes de travail ». L’auteur de science-fiction se livre alors à un exercice prospectif assez juste, si ce n’est trop optimiste.
On retrouve dans son argumentation des éléments cités par les chercheurs qui tentent aujourd’hui encore de comprendre les mutations de l’emploi induites par les machines et les ordinateurs. Comparaison avec la révolution industrielle, constat d’un changement de types d’emplois sans affirmer que l’emploi disparaîtra, accélération de l’automatisation des tâches répétitives sont autant de points abordés par Asimov.
Et surtout de pointer un véritable problème, actuellement analysé par des chercheurs et parfois mis en lien avec la montée du populisme.
« Les emplois créés ne seront pas identiques à ceux qui auront été détruits, et dans les cas similaires du passé le changement n’a jamais été si radical.[…] Les emplois qui seront créés seront, inévitablement, liés au design, à la fabrication, l’installation, la maintenance et la réparation des ordinateurs et robots, et à une compréhension de ces nouvelles industries que ces machines ‘intelligentes’ vont rendre possible. »
Mais en éternel optimiste, Isaac Asimov estime que tout finira par rentrer dans l’ordre, et qu’en 2019, nous serons en passe d’avoir résolu ce problème. Et d’aller même jusqu’à imaginer une vie où le travail n’est plus le centre du monde. Une vision loin d’être majoritaire en 2019, mais que l’on pourrait croire sortie de la bouche de défenseurs du revenu universel.
« De plus en plus d’êtres humains auront une vie riche en loisirs. […] Libres de s’engager dans la recherche scientifique, en littérature et en arts, de poursuivre des intérêts hors des sentiers battus et des hobbies fascinants de toutes sortes. »
Sur l’éducation
Cette révolution du travail, « cela veut dire qu’un grand changement dans la nature même de l’éducation devra avoir lieu afin que toutes les populations soient ‘cultivée en informatique’ et prêtes à faire face à un monde ‘hautement technologique’. »
Ici, le constat est partagé par la majorité des acteurs du monde éducatif. Mais le résultat, en 2019, n’est pas encore à la hauteur. En parallèle, Isaac Asimov imagine un monde où l’école existera, mais ne sera plus le centre de l’apprentissage et du savoir.
« Il y aura enfin l’opportunité pour chaque enfant, et en réalité pour chaque personne, d’apprendre ce qu’il ou elle veut apprendre. Quand il ou elle le souhaite, à son rythme, et à sa manière. »
Difficile de ne pas voir le lien avec les « MOOC », ces cours en ligne, souvent gratuits, accessibles à tout un chacun, qui ont déferlé sur internet au début des années 2010. Pourtant, si des millions de gens ont suivi ces cours en ligne, les limites et contraintes du système ont également démontré que l’école classique n’était pas prête d’être détrônée.
Sur la pollution et la coopération internationale
« Les conséquences de l’irresponsabilité humaine en termes de déchets et de pollution seront plus apparentes et de plus en plus insupportables avec le temps, et les tentatives pour y remédier de plus en plus ardues. […]
Il faut espérer que d’ici 2019, les avancées technologiques placeront dans nos mains des outils permettant d’accélérer ce processus afin que la détérioration de l’environnement puisse être inversée. »
Si malheureusement le constat est pertinent, l’espoir d’Isaac Asimov ne s’est pour l’instant pas réalisé. Malgré l’Accord de Paris, malgré de nombreuses initiatives, nous sommes toujours sur la voie d’un réchauffement climatiquemassif, nous polluons toujours énormément, en détériorant notre environnement. Et les technologies miracles ne sont pour l’instant que des mirages.
En parlant d’accords internationaux, sur ce point là aussi, Isaac Asimov était plutôt optimiste.
« En résumé, il y aura une amélioration de la co-opération entre les nations et groupes au sein des nations, pas du fait d’une soudaine poussée d’idéalisme ou de décence, mais dans le cadre d’une prise de conscience froide que l’inverse signifierait notre destruction à tous. »
Sur la conquête spatiale
La plupart des oeuvres d’Isaac Asimov se déroulent dans un univers où l’humanité a colonisé d’autres planètes, d’autres systèmes stellaires. Il est donc logique que le futur de l’espace lui tienne à coeur… et que sa vision de 2019 soit très optimiste, encore une fois.
« Grâce à la Navette spatiale, nous construirons une station spatiale et poserons les fondations pour un habitat permanent dans l’espace pour de plus en plus d’êtres humains. »
Si l’écrivain a anticipé la Station spatiale internationale, il faut se rappeler que la construction d’une station américaine était déjà prévue (même si l’idée qu’elle soit internationale n’a vraiment pris forme que quelques années plus tard). Et qu’elle n’est habitée que par 3 à 6 personnes en même temps.
« D’ici 2019, nous serons de retour sur la Lune en force. Il n’y aura pas que des Américains, mais aussi une force internationale; et pas uniquement pour récolter des roches lunaires, mais pour établir des mines qui traiteront le sol lunaire et l’emmèneront dans l’espace où il pourra être fondu en métaux, céramiques, verres et bétons – des matériaux de construction pour de larges structures que nous placerons en orbite autour de la Terre. […]
Le plus important, d’un point de vue pratique, serait la construction d’usines qui pourraient utiliser les propriétés spéciales de l’espace – hautes et basses températures, rayonnement dur. Le vide illimité, l’apesanteur pour fabriquer des objets qui pourraient être difficiles ou impossibles à fabriquer sur Terre, de sorte que la technologie mondiale puisse être totalement transformée. »
Ici, le 2019 d’Isaac Asimov est clairement encore de la science-fiction… mais le restera-t-il longtemps? Après tout, la privatisation de l’espace a entraîné la création de nombreuses start-up, dont certaines misent ouvertement sur le minage d’astéroïde, de la Lune, et même la création d’usines orbitales.
Des projets dont les prototypes sont aujourd’hui en cours de conception et qui pourraient rapporter des dizaines de milliards d’euros, selon une étude du cabinet PwC publiée fin 2018. De plus, la Lune est effectivement redevenu l’objectif numéro 1, pour la Chine, la Russie, les États-Unis, mais aussi des sociétés privées.
Par contre, l’éternel optimiste Asimov a clairement surévalué l’avancée technologique de l’humanité en 2019 avec cette prédiction:
« L’une de ces structures, qui pourrait très vraisemblablement être achevée d’ici 2019, serait le prototype d’une centrale solaire, équipée pour capter l’énergie solaire, la convertir en micro-ondes et la diffuser sur Terre. » […]
Une énergie gratuite, illimitée et disponible mondialement qui « rendrait la guerre simplement impensable ».
Les écrivains, toujours (trop) en avance?
En republiant ce texte, le Toronto Star estime dans une analyse séparée qu’Isaac Asimov n’était « pas Nostradamus ». Le journal pointe, à l’aide de chercheurs en informatique, les différentes erreurs de prédictions de l’écrivain, sur les robots, internet, l’évolution du travail, tout en louant « ses observations concernant les dynamiques humaines et politiques ».
« De bien des manières, le monde ressemble plus [au roman] 1984 aujourd’hui qu’en 1984. Surveillance électronique de nos moindres frappes sur le clavier. Changement dans les alliances internationales. Montée de l’autoritarisme. Fake news! », énumère le Toronto Star.
Avec ce prisme, on peut en effet se dire qu’Isaac Asimov était bien optimiste quand il imaginait le monde en 2019. On peut aussi, si l’on veut faire hommage à cet optimiste invétéré, se dire qu’il est peut-être trop en avance sur son temps. Car la plupart de ses prédictions erronées sont aujourd’hui testées à différentes échelles. Elles représentent même des futurs souhaitables pour beaucoup.
Si le pessimiste Orwell a imaginé un monde dystopique 35 ans trop tôt, on peut espérer que l’optimiste Asimov a rêvé un monde utopique avec 35 ans d’avance.
[Source] Ce texte a été publié originalement dans le HuffPost France.
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Texte partagé par les Chroniques d'Arcturius - Au service de la Nouvelle Terre