Acte fort ce lundi 14 mai: l’ambassade américaine est inaugurée à Jérusalem, en même temps que l’État d’Israël célèbre son 70e anniversaire. L’occasion de revenir sur un siècle de diplomatie en terre sainte.
Six siècles après la fin des Croisades, à la faveur de l’affaiblissement de l’Empire ottoman, les nations européennes retrouvent le chemin de la Terre sainte et plus encore celui de Jérusalem. Même si, en ce milieu du XIX e siècle, elles ont abandonné le glaive, leur objectif est bien d’y restaurer un pouvoir. Tout y participe. Construction d’écoles, frénésie immobilière, organisation de pèlerinages et, sur le plan politique, ouverture de consulats à Jérusalem. Les Anglais ouvrent la danse en 1838, bientôt suivis par les Français, les Prussiens, les Sardes et les Russes. En 1872, le pouvoir ottoman réagit à cette offensive et décide que la Ville sainte, rattachée à Damas depuis des siècles, sera désormais un sandjak [une division administrative, ndlr]autonome dépendant directement d’Istanbul.
Et à partir de 1893, plusieurs des représentations diplomatiques deviennent même des consulats généraux. À la veille de la Première Guerre mondiale, Jérusalem en compte six : la France (1893), la Russie (1893), la Perse (1901), la Grèce (1902), l’Italie (1902) et l’Allemagne (1914). « Ces consuls ont, en plus des tâches juridiques et commerciales propres à la fonction, un rôle politique et diplomatique tout à fait inhabituel. (…) De plus en plus, en somme, la Ville sainte est tenue dans les capitales européennes pour un poste “politique”, qui par les responsabilités et les fonctions exercées, se rapproche d’une petite ambassade » , souligne l’historienne Catherine Nicault dans Jérusalem, 1850-1948 (Autrement, 1999). C’est donc l’Europe qui, au XIXe siècle, met Jérusalem au centre du jeu politique et qui, bientôt, va en faire une capitale.
À partir de 1918, l’Empire ottoman ayant disparu, ces consulats généraux sont placés sous l’autorité directe du ministère des Affaires étrangères de leur pays. Dès lors, Jérusalem ne sera plus une ville comme une autre sur le plan diplomatique. Elle devient aussi la capitale administrative et politique de la Palestine sous le mandat britannique, ce qu’elle n’était pas au sein de l’Empire ottoman. En fait, depuis le Ier siècle avant notre ère et jusqu’en 1950, Jérusalem n’a été la capitale que du royaume latin pendant la période croisée (XIe-XIIe siècles) et de la Palestine mandataire (1920-1948), autrement dit deux puissances chrétiennes.
Une Jérusalem « chrétienne » plus vaste que Paris
Après la Seconde Guerre mondiale, le Royaume-Uni est contraint de quitter la Terre sainte. Mais l’Occident ne pouvait renoncer totalement à cette terre, berceau de sa civilisation. Jérusalem devait donc rester une exception. C’était comme si, échappant aux chrétiens, elle ne pouvait être remise à personne d’autre, ni aux juifs, ni aux musulmans ; ce qui, en termes diplomatiques, signifiait qu’elle devait appartenir au monde entier. L’idée d’un statut international pour la Ville sainte avait été évoquée avant même la fin de la Première Guerre mondiale.
Ainsi, lorsque le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale des Nations unies vote le plan de partage de la Palestine mandataire entre deux États, l’un pour les juifs, l’autre pour les Arabes, elle prévoit un statut particulier pour Jérusalem : un Corpus separatum sous le contrôle d’un Conseil de tutelle des Nations unies, dont le fonctionnement accorde un rôle majeur aux nations chrétiennes. Si officiellement, il s’agit de trouver une formule pour la « métropole religieuse de trois croyances », les puissances occidentales sont, avant tout, préoccupées du sort des Lieux saints chrétiens ; un concept compris au sens large, puisqu’elles établissent une liste de plus de 300 Lieux saints chrétiens, alors que le Statu Quo – un document établi en 1852 par le sultan ottoman concernant les relations interchrétiennes –, n’en compte que neuf.
Par conséquent, les frontières du Corpus separatum définies par les Nations unies s’étendaient bien au-delà des limites de la vieille ville. Elles devaient notamment englober la basilique de la Nativité de Bethléem qui se situe à 8 km du Saint-Sépulcre à Jérusalem. Ainsi délimitée, la « Jérusalem internationale » – qui est surtout une « Jérusalem chrétienne » – constitue un territoire plus vaste que Paris, alors que la Ville sainte fait moins d’un kilomètre carré. À l’époque, les Israéliens n’ont guère d’exigences concernant la vieille ville et sont favorables au principe du Corpus separatum, même si, pour eux, il devait se limiter à la vieille ville et ses environs – comme le Mont des Oliviers, soit environ 3 à 4 km2. « Tout le monde admet que les Lieux saints doivent être internationalement préservés et que la vieille ville requiert un régime spécial », explique alors David Ben Gourion, futur Premier ministre. Une position conforme à celle du fondateur du sionisme, Theodor Herzl. Dans son livre L’État des juifs paru en 1896 (Éd. La Découverte), ce dernier préconise pour les Lieux saints une « forme d’exterritorialité en harmonie avec le droit international » . Une formule catégoriquement rejetée par le pape Pie X (1903-1914) à la suite d’une entrevue entre les deux hommes en 1904. Pourtant, cette idée d’un statut international d’abord exclue par le Saint-Père, finira par trouver un certain écho au Vatican, qui plaide, depuis plusieurs années, pour un « statut internationalement garanti » de Jérusalem.
Les Occidentaux déménagent leur ambassade
Le refus du plan de partage par la Ligue arabe et la guerre de 1948 qui s’en suit – associant l’Irak, la Jordanie, l’Égypte, la Syrie et le Liban – va mettre à mal le plan de partage des Nations unies. Et le Corpus separatum ne verra jamais le jour. À la faveur des combats, la ville est partagée entre Jordaniens et Israéliens. Aux premiers, la vieille ville, le Mont des Oliviers, Bethléem, où sont situés la majorité des sites chrétiens ; aux seconds la ville moderne, majoritairement habitée par les juifs depuis la fin du XIXe siècle.
En 1950, une fois les armistices signés, la Jordanie annexe Jérusalem-Est et l’ensemble de la Cisjordanie, mais conserve Amman comme capitale. De son côté, Israël proclame Jérusalem-Ouest comme sa capitale, ce que les Occidentaux refusent d’entériner. La plupart installent donc leur ambassade à Tel-Aviv dès le début des années 1950 – c’est notamment le cas de la France et des États-Unis – et non après la guerre des Six-Jours en 1967, ainsi que beaucoup le croient. Au lendemain de la guerre de 1967, L’Osservatore Romano demande de nouveau l’internationalisation de Jérusalem. Le quotidien officiel du Vatican rappelle alors que le « gouvernement israélien avait admis l’internationalisation d’une partie au moins » de la ville.
Cependant, après la victoire écrasante de l’armée israélienne sur les forces arabes (Égypte, Syrie, Jordanie) en juin 1967 et après toutes ces années où les Jordaniens ont interdit aux juifs de venir prier au Mur des Lamentations dans la vieille ville, la position israélienne a radicalement changé. Les Israéliens n’entendent plus négocier un « statut international » et clament leur souveraineté sur la ville. En 1980, ils franchissent une étape supplémentaire en votant une loi fondamentale qui annexe Jérusalem-Est et définit l’ensemble de la cité comme la capitale « une et indivisible » de l’État. À ce moment-là, les rares ambassades qui étaient à Jérusalem, treize au total, déménagent pour Tel-Aviv sur injonction du Conseil de sécurité des Nations unies. Paradoxalement, lorsque des dignitaires étrangers se rendent en visite officielle en Israël, c’est bien à Jérusalem qu’ils rencontrent tous les responsables politiques israéliens, du président de l’État aux députés, en passant par les ministres !
Quant aux consuls généraux de la Ville sainte, ils continuent de rendre compte directement à leur ministère, un cas unique au monde. Avec le temps, les consulats sont devenus des ambassades informelles auprès de l’Autorité palestinienne créée à la suite des accords d’Oslo de 1993. Mais leurs bâtiments sont souvent situés à Jérusalem-Ouest, autrement dit du côté israélien. Une curiosité de plus pour cette « ville-monde »* qui ne sera jamais comme les autres.
(*) Jérusalem, histoire d’une ville-monde sous la direction de Vincent Lemire (Ed. Champs Histoire, 2016).
[Source] http://www.lemondedesreligions.fr/
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Texte partagé par les Chroniques d'Arcturius - Au service de la Nouvelle Terre