C’est le retour des pollens et des allergies. L’occasion de faire le point sur ces maladies en plein essor, leurs traitements et – surtout – une nouvelle cible thérapeutique très convoitée par l’industrie pharmaceutique. Avec Jean-Philippe Girard, directeur de recherche, et Corinne Cayrol, chargée de recherche, tous deux spécialistes des allergies.

Votre équipe, à l’Institut de pharmacologie et de biologie structurale (IPBS)1, à Toulouse, est réputée pour ses recherches sur les mécanismes des allergies… Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est une allergie ?
Jean-Philippe Girard : Il s’agit d’une réaction anormale, excessive et inappropriée, de notre système immunitaire vis-à-vis de substances inoffensives, dites allergènes : pollens, acariens, moisissures, poils d’animaux, venin de guêpe, certains aliments comme la cacahuète, etc. Pouvant apparaître à n’importe quel âge, les allergies sont liées à deux facteurs : une prédisposition génétique et l’exposition à un allergène.
Corinne Cayrol : Les allergies se manifestent par des éternuements, un écoulement et une obstruction du nez en cas de rhinite (rhume des foins), une gêne respiratoire et des sifflements dans l’asthme, des démangeaisons et plaques rouges pour l’eczéma, des démangeaisons, un gonflement des paupières et une rougeur des yeux lors d’une conjonctivite allergique, ou encore un gonflement de la bouche, des nausées ou des douleurs abdominales en cas d’allergies alimentaires. Trop souvent considérés comme anodins, ces symptômes altèrent la qualité de vie et la productivité au travail ou à l’école. Cela, en provoquant troubles du sommeil, fatigue et irritabilité. Certaines allergies, comme celle à l’arachide, peuvent même induire une réaction allergique violente potentiellement mortelle : un choc anaphylactique.

Aujourd’hui, près de 30 % des Français sont allergiques, contre 3 % seulement en 1970. En 2050, ce taux pourrait grimper à 50 %… À quoi est due cette explosion d’allergies ?
J.-P. G. :
 À plusieurs facteurs : le réchauffement climatique, la pollution, l’évolution de notre mode de vie et de notre environnement, ainsi que l’exposition à de nouveaux aliments due à la mondialisation.
C. C. : Concernant le réchauffement climatique, il augmente la concentration dans l’air des pollens, la durée du pic de pollinisation, et aussi la variété des pollens. En effet, la hausse des températures permet à certaines plantes poussant d’habitude sous d’autres latitudes de s’épanouir dans l’Hexagone. C’est le cas notamment de l’ambroisie (Ambrosia artemisiifolia L.), une plante d’origine nord-américaine au pollen très allergisant, qui a colonisé ces dernières décennies la Bourgogne, l’Auvergne et la région Rhône-Alpes.
J.-P. G. : Pour ce qui est de l’évolution de notre mode de vie, une hypothèse est que l’évolution vers plus d’hygiène dans les pays développés a débouché sur moins d’exposition à des infections pendant la petite enfance. Résultat, notre système immunitaire deviendrait plus sensible aux substances étrangères, dangereuses ou non.
C. C. : Toujours concernant le mode de vie, joue aussi le fait que nous utilisons de plus en plus de substances chimiques qui altèrent nos barrières épithéliales (peau, muqueuse nasale ou gastrique, etc.) : les cosmétiques, les détergents, ou encore les additifs alimentaires responsables de 4 % des allergies alimentaires. Par ailleurs la pollution, notamment les particules fines de diesel, aggrave les symptômes des personnes atteintes d’allergie respiratoire ou d’asthme.

Le pollen de l’ambroisie (ici, grossi au microscope), une plante de plus en plus envahissante en France, provoque de nombreuses allergies.

Comment fonctionne le mécanisme des allergies ?
C. C. : 
La réaction allergique s’opère en deux étapes. Dite phase de sensibilisation, la première correspond au premier contact avec l’allergène. Lors de cette étape sans signes cliniques, le système immunitaire produit des anticorps : des immunoglobulines de type E ou IgE, spécifiques de cet allergène. La deuxième phase survient dès la seconde exposition à l’allergène et correspond à la réaction allergique elle-même. Alors, l’allergène est reconnu par les IgE fixés sur des cellules immunitaires baptisées mastocytes. Résultat : ces cellules libèrent diverses molécules, comme l’histamine. Lesquelles induisent une inflammation à l’origine des symptômes allergiques.

Quels sont les meilleurs traitements contre ces troubles ?
J.-P. G. : I
l en existe plusieurs, sachant que l’arsenal thérapeutique s’est étoffé ces dernières années. Mais avant, rappelons que la meilleure des armes consiste à éviter au maximum l’exposition aux allergènes. Par exemple, en roulant les fenêtres fermées et en évitant les promenades à la campagne en période de pollinisation, en cas de rhume des foins.
C. C. : Pour les allergies simples, à savoir la rhinite allergique, la conjonctivite allergique ou encore les asthmes légers à modérés, le traitement de première intention consiste en des antihistaminiques associés ou non à des corticoïdes. Il s’agit de traitements non spécifiques, destinés à atténuer les symptômes. Si ces traitements sont inefficaces ou insuffisants, une solution peut être la désensibilisation.

En quoi consiste cette désensibilisation ?
C. C. : Appelée aussi immunothérapie allergénique, et accessible en priorité aux personnes souffrant d’allergies résistantes aux traitements habituels, et dont l’allergène a été identifié, cette thérapie vise à agir sur la cause même de la maladie. Concrètement, il s’agit de rendre le patient tolérant vis-à-vis de l’allergène concerné, en l’exposant à des doses croissantes d’allergène. Et ce, par injection sous-cutanée ou voie sublinguale. La désensibilisation améliore les symptômes dans 70 % des cas d’allergies aux acariens ou aux pollens de graminées ou de bouleau, et dans 95 % des cas d’allergies aux piqûres de guêpe. En revanche, elle n’est pas efficace contre les allergies cutanées et alimentaires.

Les tests allergologiques cutanés consistent à administrer des allergènes dans la partie supérieure de la peau. Les réactions observées permettent alors de définir l’allergène responsable de l’hypersensibilité.

Quelles sont les dernières nouveautés, côté traitements ?
J.-P. G. : 
Lors de cette dernière décennie sont notamment arrivés deux types de traitements pour l’asthme sévère, qui touche 300 millions de personnes dans le monde. Il s’agit de thérapies à base d’anticorps visant à bloquer soit les IgE (Xolair®, autorisé en France depuis 2009), soit l’interleukine-5 (IL-5), une cytokine impliquée dans l’activation des éosinophiles, des cellules clefs de l’allergie. En 2016 et 2017 ont été approuvés en France pas moins de deux produits destinés à bloquer l’IL-5 : le Nucala® (mépolizumab) produit par le géant pharmaceutique anglais GlaxoSmithKline (GSK), et le Cinqaero® (reslizumab) de la société israélienne Teva. Ceci dit, ces traitements sont réservés aux personnes souffrant d’un asthme sévère associé à une production importante d’éosinophiles. Il est donc urgent de mettre au point d’autres traitements concernant toutes les formes d’asthmes sévères. Une cible thérapeutique soulève beaucoup d’espoir ici : l’interleukine-33, ou IL-33.

De quoi s’agit-il ?
J.-P. G. : 
D’une protéine humaine découverte par hasard par notre équipe en 2003, alors que nous travaillions sur une tout autre recherche : la caractérisation de vaisseaux sanguins particuliers dits vaisseaux HEV2. Depuis 15 ans, nos travaux, ainsi que ceux d’autres équipes, ont mis en évidence le rôle majeur de l’IL-33 dans l’inflammation allergique et la prédisposition à l’asthme chez l’homme3.

Comment intervient-elle dans l’asthme ?
C. C. : 
Nos travaux publiés en avril 20184 indiquent que des allergènes respiratoires responsables de l’asthme, comme les pollens, les moisissures, les acariens, ou les allergènes liés aux conditions de travail (enzyme subtilisine utilisée dans l’industrie des détergents, etc.), possèdent des enzymes dites protéases, capables de générer des formes hyperactives de l’IL-33. Ces signaux surpuissants activent des cellules immunitaires ressemblant aux lymphocytes : les cellules lymphoïdes innées de type 2, ou ILC2. Or, celles-ci ont pour rôle de produire de grandes quantités de deux cytokines majeures de l’allergie : l’IL-5 dont on a parlé plus haut, et l’IL-13. D’où les symptômes allergiques exacerbés observés dans l’asthme, comme une forte production de mucus rendant la respiration difficile.

Comment contrer les effets de l’IL-33 ?
C. C. : 
L’idée est de développer des anticorps bloquant cette protéine ou son récepteur ST2, pour stopper non seulement la production d’IL-5 – comme le font les récents traitements présentés plus haut –, mais aussi celle d’IL-13. Et ce, quelle que soit la forme d’asthme sévère – avec ou sans beaucoup d’éosinophiles –, contrairement aux récents traitements ciblant l’IL-5.

Coupes de poumon. À gauche, l’asthme allergique se caractérise par une hyperproduction de mucus (en rose magenta) liée à l’activation de la protéine IL-33. Lorsque cette activation est bloquée (à droite), la réaction allergique n’est pas déclenchée.

Où en est la recherche pharmaceutique dans ce domaine ?
J.-P. G. :
 Plusieurs essais cliniques sont déjà en cours chez des asthmatiques sévères. Pas moins de quatre grandes firmes pharmaceutiques se sont lancées dans cette course : GSK, le laboratoire américain Roche-Genentech, la société britannique AstraZeneca et la multinationale française Sanofi. Les deux dernières mènent des essais de phase 1, qui visent à évaluer l’efficacité d’un traitement candidat chez quelques dizaines de patients. GSK et Roche-Genentech en sont, eux, déjà aux essais de phase 2, destinés à tester l’efficacité d’un traitement sur quelques centaines de patients.

Les traitements ciblant l’IL-33 pourraient-ils concerner des allergies autres que l’asthme sévère ?
J.-P. G. : 
Oui : la société américaine AnaptysBio teste des anticorps bloquant l’IL-33 chez des patients atteints de dermatite atopique – une allergie cutanée – et d’allergie à la cacahuète. Pour la dermatite atopique, les premiers résultats rapportés sont apparemment encourageants. Ceci dit, les données solides à ce jour concernent surtout l’asthme.

Quand ces traitements pourraient-ils arriver ?
J.-P. G. : 
Dans deux à trois ans, si tout se passe bien.

[Source] https://lejournal.cnrs.fr


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Texte partagé par les Chroniques d'Arcturius - Au service de la Nouvelle Terre