D’après un reportage de Bouchra Ouatik, de Découverte
Se sentir prisonnier du corps dans lequel on est né. Ce mal-être est partagé par nombre de personnes transgenres. Jusqu’à récemment, on en savait peu sur ce qui cause ce sentiment, mais des recherches sur le cerveau apportent des éléments de réponse.
« Il va sans dire qu’au-delà de mon genre, je reste la même personne avec les mêmes traits de personnalité, manies, intérêts, amitiés, passions et positions. »
Adam Margineanu-Plante, 22 ans, relit ainsi à voix haute la lettre qu’il a écrite à ses proches.
« À ceux pour qui ce changement représente un deuil difficile à accepter, sachez que je l’accepte et je l’accueille », poursuit-il.
Il y a quelques mois, il a annoncé à son entourage qu’il est un homme transgenre. Il est né dans un corps de fille, mais son identité est masculine.
« Je pense que j’ai toujours su que j’étais différent », raconte-t-il.

Enfant, il se posait peu de questions sur son genre. Mais tout a changé à l’adolescence, quand ses courbes féminines ont commencé à apparaître.
« C’est des symptômes que j’ai ressentis, des éléments qui sont apparus à partir de la puberté, des malaises très, très, très profonds, que je n’arrivais pas à expliquer, pour lesquels je n’avais pas les mots. »
Adam explique qu’à chaque fois qu’il se regardait dans le miroir, il voyait constamment des choses à changer dans son apparence.
« C’est un problème qui est tellement persistant et tellement profondément dérangeant que d’y penser toujours, c’est aliénant. »
Un décalage entre corps et identité
En termes médicaux, cet inconfort s’appelle la dysphorie de genre. Depuis quelques années, de plus en plus de gens disent se sentir inconfortables avec leur sexe de naissance.
« C’est pas vrai que, soudainement, tout le monde se découvre trans parce qu’on en parle plus dans les médias. Moi, je n’ai pas choisi d’être trans, je n’ai pas eu le luxe de me demander : « Est-ce qu’être trans, ça existe? » Parce que quand je me suis rendu compte que c’était ça que je ressentais, c’était indéniable. »

Des chercheurs tentent désormais de comprendre pourquoi les personnes transgenres se sentent ainsi.
« Ils sentent que leurs caractéristiques physiques ainsi que les rôles associés à leur genre sont incongrus par rapport à leur perception d’eux-mêmes », explique le psychiatre de l’Université de Californie à Los Angeles Jamie Feusner, un expert de la perception corporelle.
Il a d’abord mené une expérience inusitée pour comprendre la relation des personnes transgenres avec leur corps.
« Nous avons conçu une expérience de métamorphose du corps. Nous prenons des photos du corps des participants alors qu’ils portent une combinaison moulante. Cela permet de voir toutes les caractéristiques physiques », explique-t-il.
« Puis, nous utilisons un logiciel pour transformer graduellement la photo de leur corps vers d’autres corps d’hommes et femmes. Ainsi, nous obtenons une série de silhouettes qui ressemblent à leur corps, mais qui sont un peu plus féminisées ou un peu plus masculinisées », poursuit le psychiatre.
Il a mené son expérience sur deux groupes : des personnes non transgenres ainsi que des personnes transgenres qui ont une anatomie féminine, mais qui s’identifient au genre masculin. Chaque participant voyait défiler les différentes versions de son corps et devait dire s’il s’y reconnaissait.

Les résultats corroborent le sentiment des personnes transgenres. Elles s’identifient moins aux corps qui correspondent à leur sexe biologique.
Avant de prendre conscience qu’il était un homme transgenre, Adam a souvent senti un décalage avec son corps.
« Je me disais, ça, c’est ma tête, et [le reste], c’est une madame! Et cette madame-là, ce n’est pas moi! Je me rappelle que je trouvais ça extrêmement troublant », se remémore Adam.
Pour comprendre la cause de ce sentiment, Jamie Feusner s’est penché sur la structure du cerveau des personnes transgenres.
Avec l’imagerie par résonance magnétique, il a analysé les connexions dans le cerveau des membres de chaque groupe.
« Nous avons trouvé que dans cette population de personnes transgenres, c’est-à-dire de femme à homme, il y avait des différences dans la connectivité. »
Les participants non transgenres, qui s’identifiaient à leur corps tel qu’il est, avaient une connectivité plus importante dans le cortex insulaire, une région responsable des émotions.
« Ils ont en quelque sorte une réaction spontanée quand ils s’identifient à leur corps », poursuit Jamie Feusner.
Chez les participants transgenres, la connectivité était plus faible dans cette zone du cerveau.
Cependant, plus ils se reconnaissaient dans un corps du sexe opposé, plus ils avaient une grande connectivité dans le cortex cingulaire antérieur. Cette région est sollicitée lorsqu’on réfléchit à son identité.
Les personnes transgenres avaient aussi une moins grande connectivité dans le cortex visuel.
Les chercheurs croient que toutes ces différences mènent à un décalage entre la perception de son corps et l’identification à celui-ci.

Des différences dans le cerveau
Des personnes transgenres disent qu’elles se sentent emprisonnées dans des corps de femmes alors qu’elles sont des hommes, ou vice-versa. Pour comprendre ce sentiment, Ivanka Savic, neurologue à l’Institut Karolinska, en Suède, a poussé la recherche plus loin.
Elle s’est d’abord intéressée aux différences typiques entre le cerveau des hommes et celui des femmes.
« Il y a des différences entre les cerveaux d’homme et de femme. Ces différences ne sont pas nombreuses, mais elles sont importantes. »
Certaines zones du cerveau sont plus grandes chez les hommes et d’autres sont plus grandes chez les femmes.
Qu’en est-il alors des personnes transgenres?
Pour le savoir, Ivanka Savic a comparé le cerveau de personnes transgenres au cerveau d’hommes et de femmes non transgenres.
« Dans certains aspects, la structure du cerveau des personnes transgenres ressemble à celle du sexe assigné à la naissance », explique-t-elle. Mais ce n’est pas tout. Leur cerveau a aussi des caractéristiques du sexe opposé.
Des chercheurs de l’Université de Liège, en Belgique, ont exposé des adolescents à des phéromones qui déclenchent une activité cérébrale différente chez les hommes et chez les femmes.
Le cerveau des adolescents transgenres s’activait de la même façon que celui des participants du sexe dans lequel ils se reconnaissent.
Ivanka Savic a fait une autre découverte surprenante. Certaines zones du cerveau des personnes transgenres sont différentes de ce que l’on retrouve à la fois chez les hommes et chez les femmes non transgenres.

« Par exemple, une femme trans qui est née avec un sexe masculin aura des caractéristiques d’un cerveau masculin, mais elle aura aussi des caractéristiques qui lui sont propres », dit-elle.
Lorsqu’on analyse les images d’activité cérébrale, on note que des régions du cortex sont plus épaisses chez les personnes transgenres par rapport au groupe contrôle, explique la chercheuse.
« Ces régions sont responsables de plusieurs choses, mais en ce qui a trait à la dysphorie de genre, ces régions contrôlent la perception de soi par rapport à la perception de son propre corps. Cela est relié à l’inconfort qu’expriment plusieurs personnes transgenres. C’est très intéressant de voir ces différences », précise Ivanka Savic.
Effectuer un changement
Pour une personne transgenre, quelle est la solution pour atténuer cet inconfort par rapport à son corps?
Certains choisissent de faire une transition physique vers le sexe opposé en recourant à la chirurgie, d’autres s’en tiennent aux traitements hormonaux.
« Moi, j’ai décidé d’entreprendre progressivement, à mon rythme, une transition médicale », explique Adam.
« Je ne le voyais pas comme « moi fille » qui rentre dans une machine et qui va sortir en « moi gars ». J’ai toujours été la même personne. C’est un processus constant. »

En étudiant le cerveau de personnes transgenres qui ont commencé un traitement hormonal, Jamie Feusner a constaté que les différences dans leur cerveau s’estompent.
« Nous avons vu des changements dans la connectivité, c’est-à-dire dans la façon dont les zones du cerveau communiquent entre elles. Nous avons vu que les connexions qui étaient plus faibles avant le traitement se renforçaient. Il s’agit des connexions impliquées dans l’analyse de son propre corps et dans la réflexion sur soi-même », mentionne le psychiatre.
Ivanka Savic, quant à elle, s’est intéressée aux personnes transgenres qui subissent une opération chirurgicale.
« Normalement, après l’amputation d’une partie du corps, les gens ont une sensation de membre fantôme. Mais les femmes transgenres à qui on a enlevé le pénis n’ont pas ce genre de sensation. Ce phénomène nous porte à croire que nous sommes probablement nés avec une image mentale de notre corps », affirme la neurologue.
Pour le moment, difficile de savoir ce qui détermine notre identité de genre.
« Notre hypothèse est que cela pourrait se produire durant notre développement, mais cela peut aussi changer avec le temps. Il est également possible que des facteurs environnementaux influencent ces connexions dans le cerveau. On sait que c’est le cas », poursuit-elle.
Grâce aux travaux de Jamie Feusner et d’Ivanka Savic, on sait maintenant que l’identité de genre est bien ancrée dans le cerveau.

Quant à Adam, il vit enfin en harmonie avec son identité.
« À tous ceux et celles qui m’ont accueilli dans ce processus, qui m’ont écouté, supporté, aimé. Vous savez qui vous êtes, dit Adam en relisant sa lettre à voix haute. Je vous serai éternellement reconnaissant et vous aime de tout mon cœur. Bien à vous. Adam. »
Bouchra Ouatik journaliste, Sophie Leclerc designer, Francis Lamontagne designer, André Guimaraes développeur, Mathieu Gobeil journaliste à l’adaptation et Éric Larouche chef de pupitre
[Source] http://ici.radio-canada.ca/
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Texte partagé par les Chroniques d'Arcturius - Au service de la Nouvelle Terre