Au cours des cinquante dernières années, on a beaucoup étudié la pollution atmosphérique de nos villes sans vraiment porter attention à l’air que nous respirons dans nos maisons. Les scientifiques commencent tout juste à s’intéresser au cocktail de composés chimiques qui flottent dans ces espaces intérieurs où nous passons l’essentiel de notre temps. Des chercheurs américains faisaient remarquer récemment dans la revue Science que les composés chimiques émanant notamment des produits d’hygiène personnelle et de nettoyage, des peintures et de la cuisine contribuent autant à la pollution de l’air que les gaz d’échappement du parc automobile et des usines. Nos habitations seraient de véritables boîtes de Pandore dont le contenu nous est encore largement inconnu.
Dans un commentaire paru récemment dans la revue Science, deux chimistes, Sasho Gligorovski, de l’Académie chinoise des sciences de Guangzhou, et Jonathan P. D. Abbatt, de l’Université de Toronto, passent en revue les différentes sources de pollution intérieure. Ils insistent sur le fait que ces sources ne sont que le premier maillon d’une suite de réactions chimiques susceptibles d’aboutir à la production d’autres composés chimiques fort probablement nocifs pour la santé, et dont nous ignorons encore la nature.
Combustion
Toutes les sources de combustion, celles de la cuisinière au gaz, des bougies et de la cigarette, émettent d’importantes concentrations d’acide nitreux (HONO), un polluant qui résulte également de la réaction entre le dioxyde d’azote (NO2), dégagé par les cuisinières au gaz, et les divers composés organiques issus de la cuisine et des produits de nettoyage qui se sont déposés sur les murs et les plafonds de la maison. « Même s’il n’y a que des traces d’un composé organique quelconque, étant donné les grandes surfaces dans chaque pièce, le NO2 produit beaucoup d’acide nitreux qui se dégage dans l’air. Lorsque l’on respire cet acide nitreux, notre corps le métabolise en nitrosamine, un composé hautement cancérigène », précise Sasho Gligorovski.
L’acide nitreux réagit aussi avec la nicotine de la cigarette qui a adhéré aux différentes surfaces à l’intérieur de la maison, dont notamment les murs et le plafond. « Le produit de cette réaction est aussi la nitrosamine. Le problème est que cette réaction continue de se produire une semaine, voire deux semaines ou plus après qu’une personne a fumé dans la pièce. Des nitrosamines se dégagent donc des murs pendant plusieurs semaines, et c’est ce qu’on appelle la fumée tertiaire, par comparaison à la fumée directe et à la fumée secondaire », souligne le chimiste.
Les sources de combustion, telles que la cuisine, les bougies et la cigarette, dégagent également des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), qui eux aussi sont cancérigènes. « Même si ces polluants sont émis à des concentrations beaucoup plus importantes dans les habitations des pays en développement, où on brûle le bois dans l’espace ouvert et non dans une cheminée, il n’est pas exclu que, même dans les sociétés modernes occidentales, ces composés soient émis par différentes sources de combustion et se déposent sur les murs et les plafonds. Puis, par réaction avec le dioxyde d’azote ou l’ozone, ils pourront former d’autres composés secondaires qu’on ne connaît pas et qu’il faudra étudier dans le futur, mais qui pourraient être encore plus toxiques que les composés initiaux (HAP) qui sont déjà très agressifs », fait savoir le chercheur.
Solutions
« Il est donc primordial d’éviter toutes les sources de combustion dans les pièces de la maison, car on a tendance à construire des maisons bien isolées afin de consommer moins d’énergie. Cela veut dire que la ventilation et le taux de renouvellement de l’air y sont bien moindres, et que les polluants s’y accumulent », prévient M. Gligorovski, qui ne recommande pas les cuisinières à gaz parce qu’elles sont une source non seulement de HONO, mais aussi de NO2. « Si on utilise une cuisinière au gaz, il faut mettre en route la hotte ou ouvrir la fenêtre. »
Le chercheur précise néanmoins que c’est la durée d’exposition à ces polluants très agressifs qui est déterminante. « Un cuisinier qui y est exposé pendant 20 à 30 ans court beaucoup plus de risques de souffrir d’une maladie respiratoire, ou même d’un cancer, à moins de bien se protéger », dit-il.
Produits de nettoyage
Laver les surfaces intérieures d’une habitation avec de l’eau de Javel entraîne l’évaporation d’acide hypochloreux (HOCl) et de dichlore (Cl2), deux gaz toxiques qui peuvent à leur tour oxyder les autres surfaces de la pièce, ou même, sous l’effet des rayons ultraviolets qui pénètrent par les fenêtres, se décomposer en atomes de chlore qui sont extrêmement réactifs. « Ces atomes de chlore peuvent réagir avec tout ce qui est présent à l’intérieur de la maison, dont les composés organiques volatils (COV) qui proviennent de la cuisine, du ménage et des meubles qui dégagent des aldéhydes, et ils peuvent ainsi former une large gamme de produits qui sont susceptibles d’êtres nocifs, vu qu’ils contiennent du chlore. Mais c’est une chimie qui n’est absolument pas connue et sur laquelle nous devons faire des recherches », affirme M. Gligorovski.
Dans une étude publiée dans les PNAS, M. Gligorovski a démontré que des rayons ultraviolets pénètrent à l’intérieur des habitations, bien que de façon moins homogène qu’à l’extérieur, car les fenêtres n’arrêtent qu’une certaine fraction d’entre eux. « Les ultraviolets de 320 à 400 nanomètres peuvent entrer à l’intérieur des maisons. L’intensité est un peu moindre qu’à l’extérieur, mais suffisamment grande pour provoquer la photochimie », précise-t-il. Lors d’une expérimentation dans un lycée de France, le chercheur a observé que les UV pénétrant à l’intérieur du bâtiment fragmentaient les polluants, tels que l’acide nitreux, et contribuaient à la formation de radicaux hydroxyles (OH) qui sont très réactifs. « On a ainsi montré pour la première fois que des radicaux hydroxyles peuvent se former à l’intérieur de la maison, et ce, à la même concentration qu’à l’extérieur », précise-t-il.
Présence d’humains
Non seulement les activités menées par les humains contribuent à polluer l’air, mais leur seule présence dans une pièce y participe aussi. L’équipe de Charles J. Weschler, de l’Université Rutgers au New Jersey, a remarqué que, lorsque deux personnes entraient dans une pièce, la concentration d’ozone dans cette pièce diminuait de moitié en l’espace de 30 minutes. Qui plus est, la concentration de composés organiques volatils (COV) toxiques s’accroissait d’autant. Ces chercheurs ont alors compris que l’ozone réagissait avec une molécule, appelée squalène, présente sur la peau des humains. « Les humains dégagent beaucoup de composés carbonylés nocifs, tels que des aldéhydes et des cétones, qui résultent de la réaction entre l’ozone et le squalène », précise M. Gligorovski. « On a longtemps pensé que l’ozone, parce qu’il est réactif, pouvait purifier l’air en éliminant tous les polluants présents à l’intérieur de la maison. Et pour cette raison, nombreux étaient ceux qui avaient recours à des purificateurs d’air à l’ozone au Canada et aux États-Unis. Mais on ne s’est pas demandé quels composés résultaient des réactions entre ces polluants et l’ozone, et si ces composés sont nocifs ou pas ! »
Composés organiques
Les produits d’hygiène personnelle, savons et parfums, contiennent beaucoup de composés organiques, comme les terpènes qui réagissent avec des oxydants, tels que l’ozone et les radicaux hydroxyles. Or, « ces réactions produisent de nombreux intermédiaires qui souvent seront toxiques. Les réactions d’oxydation conduisent très souvent à la formation de composés nocifs, mais on ne connaît pas encore très bien cette chimie », souligne le chercheur.
De même, les produits de nettoyage qui sentent bon contiennent des terpènes, dont le limonène qui a une odeur fraîche et propre d’agrumes. La cuisson du poivre et d’herbes aromatiques libère aussi des terpènes. Les vaporisateurs électriques qui se branchent dans les murs, les bougies parfumées, voire l’encens, dégagent également des composés organiques volatils susceptibles d’être oxydés par l’ozone et les radicaux hydroxyles. « On a trouvé de nombreux cas de cancer du poumon chez les moines bouddhistes, qui pourtant mènent une vie saine. Mais ces moines étaient exposés pendant des dizaines d’années à de l’encens qui brûle dans un espace clos », fait remarquer M. Gligorovski.
« On utilise souvent des produits pour soi-disant purifier l’air, mais on ne purifie pas l’air, on ne fait que masquer les odeurs. Une bougie qui sent bon n’élimine pas les polluants, ne renouvelle pas l’air, elle ne fait que masquer une odeur et générer des polluants, des COV qui réagissent avec l’ozone et les radicaux hydroxyles », souligne le chercheur.
Les peintures sur les murs réagissent même plusieurs années après avoir été appliquées avec les oxydants. Les meubles dégagent pendant plusieurs années des aldéhydes, comme le formaldéhyde qui est cancérigène et l’acétaldéhyde qui est potentiellement cancérigène, ajoute-t-il.
Ouvrir les fenêtres
« Même si l’air extérieur est souvent pollué, les concentrations de polluants sont toujours plus élevées à l’intérieur qu’à l’extérieur, affirme M. Gligorovski. L’air extérieur est toujours plus propre que l’air intérieur, parce que c’est un grand volume, il y a sans cesse un brassage, de la turbulence qui exerce un effet de dilution. Par contre, à l’intérieur, on est enfermés dans un plus petit volume qui est pollué par de nombreuses sources », explique-t-il.
Pour cette raison, il recommande d’ouvrir les fenêtres souvent, et ce, en dépit de la pollution atmosphérique. Il conseille de ne pas rester enfermé longtemps à l’intérieur et d’être le plus souvent possible dans la nature. « Nos sociétés modernes nous obligent à être à l’intérieur pour le travail et pour l’école. Certaines sources de pollution intérieure sont inévitables, dont celles reliées à la cuisine, mais Il faut écarter les autres sources, comme les bougies et les produits de nettoyage qui sentent bon, et nettoyer la maison avec de l’eau chaude sous haute pression en limitant aussi l’usage de l’eau de Javel. »
« Les solutions idéales n’existent pas encore. Les peintures photocatalytiques et les fenêtres au verre photocatalytique [contenant un photocatalyseur capable de détruire les composés organiques présents dans l’air sous l’effet d’une lumière naturelle ou artificielle] ne constituent pas encore une solution viable. Il faudra investir encore beaucoup d’efforts pour améliorer ces matériaux afin qu’ils puissent être lancés sur le marché, car pour le moment ils produisent plus de COV qu’ils en éliminent », affirme le scientifique.
Source: https://www.ledevoir.com/
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Texte partagé par les Chroniques d'Arcturius - Au service de la Nouvelle Terre