La philothérapie, c’est la philosophie au service de l’accompagnement personnel.
Quelles sont mes croyances actuelles ?
Sont-elles efficaces pour nourrir mes besoins fondamentaux ?
Puis-je trouver un sens à mon parcours de vie ?

Qu’est-ce que servir  ?

Aujourd’hui, l’enseignement de la philosophie est encore largement réservé à un temps, à un lieu et à une catégorie socio-culturelle. Un temps tout d’abord, puisque la fenêtre qui s’ouvre, dans la vie des jeunes adultes, pour découvrir cette discipline riche et complexe, ne dure en général qu’une année, juste avant l’examen du Baccalauréat, qui sanctionne 15 années d’apprentis-sages. Une année marquée par la nécessité de respecter une méthodologie pour répondre à des attentes académiques, c’est bien peu, pour entrer réellement dans le questionnement philosophique…

Un lieu ensuite, puisque la philosophie est enseignée en lycée, puis éventuellement en université pour ceux qui désirent pousser leurs recherches plus en profondeur. Mais dans la rue, dans la vie publique, dans la Cité, la philosophie est remarquablement absente en tant que pratique. Elle pénètre parfois les médias et entre alors dans nos foyers par l’intermédiaire d’émissions culturelles. Il existe encore, dans ce cas, un gouffre immense qui sépare le philosophe du vulgaire, du peuple qui l’écoute avec attention. Tout comme l’enseignant est séparé de ses élèves, si ce n’est par une estrade, du moins par tout le poids de son autorité ; le philosophe est séparé du commun des mortels par son statut, qui inspire à la fois respect et humilité. La philosophie est l’apanage d’une élite socio-culturelle.

philothérapieDans l’approche philothérapeutique, il n’en va pas ainsi. Le philothérapeute est avant tout un thérapeute, c’est-à-dire qu’il a choisi, conformément à l’étymologie du concept, de se mettre au service de la personne, de prendre soin d’elle, de l’accompagner plutôt que de la diriger. En grec ancien, le θεράπων (therápôn : « serviteur ») est celui qui sert, au sens du verbe θεραπεύω (therapéuô : « servir, prendre soin de, soigner, traiter »). Tout d’abord serviteur des Dieux, les thérapeutes grecs sont aussi serviteurs de l’humain, dans le service médical. Toute la science accumulée ne sert jamais à autre chose qu’à permettre ce service à la personne, ce soin vigilant et attentif. C’est vraiment cette perspective thérapeutique que j’entends donner à la philosophie, lorsque j’envisage mon activité de philothérapie.

Pour moi, durant ces 15 années d’enseignement de la philosophie, cette discipline m’est apparue comme une analyse bienveillante de notre système de croyances en premier lieu  ; comme une recherche dialectique du sens en second lieu, enfin comme un éclairage pragmatique des stratégies mises en place par un individu, pour un temps ou pour toujours. Il s’agit maintenant de préciser en quoi ces trois directions philosophiques peuvent servir à l’accompagnement de la personne.

Analyser notre système de croyances

J’aime me représenter l’être humain, du point de vue de son énergie mentale, comme un Univers (uni-vers)  : c’est-à-dire une constellation plurielle et complexe (de planètes, de satellites, de météorites parfois), ayant un but et une direction communs. On pourrait aussi se représenter cette image de la pluralité au service d’un but commun comme un tissu, un réseau, une toile, un patchwork, qui possède une fonction globale (revêtir une personne par exemple ?) mais des parties très différentes les unes des autres.

philothérapieEt ce qui constitue cette constellation ou ce tissu mental, ce sont nos croyances.  Je n’aime pas faire cette distinction (pourtant traditionnelle en philosophie) entre croyance et connaissance : car cette distinction est elle-même appuyée sur une croyance indémontrable : à savoir qu’il puisse exister une manière de prouver de manière indubitable quelque chose, et que cette preuve résiste absolument au doute, à l’évolution de nos conceptions, à l’épreuve du temps. Ceci est d’un dogmatisme fou, et dangereux de surcroît. Car nos connaissances évoluent perpétuellement, et sont donc elles-mêmes des croyances, empruntées pour un temps, mais préférant cacher leur aspect provisoire derrière un rideau de fumée rationnelle.

Je préfère avouer humblement que mes pensées, mes convictions, mes théories et mes expériences, quel que soit leur poids et leur degré de rationalité, ne sont que des outils que j’emprunte pour un temps, car j’en ai besoin. Pour agir. Pour m’orienter. Pour me situer dans le réseau environnant que je nomme « Réalité ». Ce réseau est si complexe, si multidimensionnel, qu’il existe une infinité de manières de l’interpréter, d’entrer dedans, de l’utiliser. Mon système de croyances est donc toujours un choix, une manière d’entrer en contact avec la Réalité, un système me permettant d’agir sur la Réalité.

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Picasso dans sa période « bleue »

Et c’est un choix personnel, propre, toujours singulier. Bien sûr que je suis largement dépendant de mon environnement, de ma culture, de mon éducation, de mes relations, dans la construction de mon système de croyances. Bien sûr que je suis certainement l’héritier d’une lignée trans-générationnelle, peut-être même d’une multitude d’expériences de « vies antérieures », ou encore du poids du « champ morphogénétique » global qui informe jour après jour notre mental. Ceci est encore affaire de croyances, et je peux les emprunter si elles me servent aujourd’hui, et dans la direction qui est la mienne, à agir sur la Réalité. En d’autres termes, je suis entièrement responsable de l’assentiment que je donne au système de croyances qui colore ma réalité de telle ou telle manière, même si je ne suis certainement pas à l’origine de la plupart de mes croyances.

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Picasso dans sa période « rose »

J’en suis responsable car je peux toujours faire le choix, si cela m’est utile, de changer tel ou tel élément de croyance, de l’amender, de le remplacer par un autre, tout en maintenant l’équilibre précaire que représente le système dans sa globalité. Je peux faire ce choix, même si bien souvent je ne le fais pas, car je n’en ai pas besoin. Parfois aussi, je ne fais pas le choix de l’évolution parce que j’ai peur, par exemple de ce que cela pourrait occasionner en moi de faire ce changement, d’arrêter de croire telle ou telle chose. Le risque de l’inconnu, de la perte de repère, de la folie… Et parfois, je ne fais pas ce choix, tout simplement parce que je n’ai même pas remarqué qu’il ne s’agissait que d’une croyance, et non d’un « fait ». Que rien n’est un fait, au final. Que tout ce que je prends pour acquis peut donc évoluer, tout le temps, même si ce n’est pas forcément dans la minute. Dans ce cas, si je ne parviens pas à quitter un système de croyances dans lequel je me sens pourtant inconfortable, quelqu’un peut m’aider, si j’en exprime le souhait.

C’est cette aide, que j’appelle « philothérapie ».

Nos croyances ont un sens

N’allons tout de même pas croire que l’on puisse si facilement changer de croyance, comme on change d’habit. Ce serait le cas si nos croyances étaient désintéressées, c’est-à-dire si elles ne servaient à rien, au final, dans la relation que nous entretenons avec notre environnement. Or je pars du principe (c’est encore une croyance) que nos croyances ne sont jamais là par hasard : elles ont un sens. Tout comme en décodage biologique on va aller chercher le sens de telle ou telle maladie, de tel ou tel symptôme corporel (pourquoi ai-je une maladie de peau, un cancer de la gorge, etc.?), en philothérapie j’entends chercher le sens de telle ou telle croyance, en la reliant avec le besoin qui en est à l’origine. En d’autres termes, une croyance est selon moi une stratégie, adoptée à un moment de mon existence, pour satisfaire un besoin. Il existe certes d’autres stratégies possibles, et celle-ci n’est peut-être pas la plus efficace, mais c’est pourtant celle que j’ai choisie à l’époque, et elle m’a donc forcément servi à un moment. Je ne dois jamais l’oublier.

Repartons du besoin. Nous sommes des êtres vivants, avant d’être des constructions mentales, des constellations de croyances. En tant qu’êtres vivants, nous sommes dans un équilibre précaire, une sorte d’homéostasie intérieure qui se joue à plusieurs niveaux (biologique, émotionnel, mental, spirituel, etc.). Chaque besoin correspond à ce dont on doit prendre soin pour maintenir l’équilibre organique (étymologiquement, le be-soin, du francisque « bisunnia », signifie « ce dont il faut se soucier ») : il est donc impératif de satisfaire le besoin s’il l’ont veut rester en bonne santé, en équilibre. Mais nos besoins sont multiples et dépassent très largement la seule sphère du biologique ou de la survie. Besoin de sécurité, d’appartenance à un groupe, d’estime de soi, d’accomplissement : autant de strates qui demandent à l’être vivant un soucis permanent de sa personne selon Abraham Maslow, l’inventeur de la célèbre pyramide des besoins.

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Autant de possibilités de manquer de ce dont on a besoin, aussi. Autant de blessures possibles qui interviennent très tôt dans l’enfance. Blessure de rejet par exemple, lorsque je ne me suis pas senti reconnu en tant qu’individu, ou en tant que membre du groupe familial. Blessure de trahison, lorsque je ne me suis pas senti en sécurité dans la relation à mes parents, ou lorsqu’au contraire j’ai manqué de sécurité par l’effet d’un climat familial oppressant, déresponsabilisant. Autant de possibilités de souffrir d’un déséquilibre dans la satisfaction des besoins psychosomatiques essentiels, selon Lise Bourbeau, qui a démocratisé la théorie des 5 blessures de l’enfance  : abandon, rejet, humiliation, trahison et injustice.

Chaque croyance est une stratégie de secours…

Or cette nourriture que je n’ai pas eu, cet amour qui m’a manqué à un moment ou à un autre, en rapport avec l’un ou l’autre de mes besoins, il a bien fallu que je cherche à me la procurer d’une autre manière. Il a fallu inventer des stratégies de secours, des comportements élaborés, enfin des constructions théoriques, afin de combler le vide et la plaie que laissent le besoin non satisfait. La plupart (pour ne pas dire tous) de nos comportements à tendance névrotique (idées obsessionnelles, phobies irrationnelles, compulsions rituelles, dépendances relationnelles, alimentaires, médicales, etc.) témoignent du caractère excessif et urgent de la stratégie de substitution. Il n’est pas question de chercher à supprimer le comportement névrotique sans avoir cherché au préalable à nourrir le besoin qui est en jeu ici : le risque de rechute est trop évident. De la même manière, la plupart de nos croyances sont des stratégies soit pour nourrir directement un besoin impérieux, soit pour légitimer un comportement qui a lui-même pour but de nourrir un besoin.

philothérapiePar exemple, si j’ai été mis en insécurité, étant enfant, lorsque j’exprimais de la colère (menace, agressivité réactionnelle de l’un des parents, punitions, etc.), j’ai compris très tôt que pour nourrir mon besoin de sécurité, il était impérieux que je puisse contrôler cette colère, la refouler et mettre le plus de distance possible entre elle et moi. C’est que l’on peut aussi appeler un « clivage ». A partir d’aujourd’hui, plus rien ne pourra me mettre en colère. Évidemment, cela ne marche pas toujours, et l’explosion est alors monumentale. Mais je peux aussi créer cette croyance que la colère est l’aveu d’une faiblesse : et ainsi m’assurer que, si je veux être fort et courageux, je dois dompter ma colère. Je pourrais tout aussi bien me dire que la colère est le contraire de l’amour, qui demande à accueillir l’autre dans l’équanimité (c’est en gros la version bouddhiste de l’équilibre émotionnel parfait) ; ou encore que la colère est une violence faite à moi-même et à l’autre, alors que je préfère être tendre avec moi-même et empathique avec les autres. En vérité, il y a mille manières possibles de mettre la colère à distance, mille croyances possibles pour légitimer cet ostracisme émotionnel qu’est le refoulement.

Voilà pourquoi parfois une croyance peut revêtir une intensité émotionnelle gigantesque, à la hauteur du risque qu’il y aurait à l’abandonner. Plus le besoin qu’elle cherche à satisfaire est impérieux, ou encore plus la blessure qu’elle cherche à masquer est béante : et plus le risque de l’abandonner est grand pour l’économie psychique de l’individu. Le risque majeur, c’est celui d’une décompensation : c’est-à-dire d’un déséquilibre psychique qui approche la folie. Contacter la souffrance que j’ai ressenti, enfant, lorsque l’un de mes besoins n’était pas satisfait, avant que je ne trouve une stratégie plus ou moins bancale pour stopper la souffrance : c’est tout simplement effrayant. Et pourtant nécessaire, si la stratégie  bancale me met dans un inconfort constant, effet du caractère excessif du comportement ou de la croyance.

Nourrir le besoin, retrouver le sens

Le moteur de tout changement est l’inconfort, témoin d’un besoin non satisfait. Si tous mes besoins étaient satisfaits, je n’aurais aucun désir, et je ne bougerais pas d’un iota. Évidemment, ceci est impossible pour un organisme vivant, dont les besoins se renouvellent en permanence. Par conséquent, la seule chose qui puisse me faire évoluer dans mes croyances, c’est l’inconfort dans lequel je peux être lorsque ma stratégie compensatoire se trouve inefficace pour nourrir mon besoin, ou lorsqu’elle empêche la satisfaction d’un autre besoin. Si je me mets sans cesse en danger pour nourrir un besoin de reconnaissance et d’estime, il se peut que mon besoin de sécurité ne soit pas satisfait ; et la stratégie mentale consistant à croire que c’est seulement ainsi que je me sens « vivant » risque de ne pas emporter mon adhésion durant toute ma vie. Je devrai alors changer mon comportement, et ma croyance avec.

C’est ici que le philothérapeute peut intervenir selon moi  : il peut mettre sa capacité d’analyse des systèmes de croyance au service de la volonté de changement de la personne. En dialogue avec la personne (d’où l’idée que la philosophie est toujours dialectique  : elle met en dialogue deux constructions mentales, deux personnalités), il s’agira de faire une sorte de bilan de l’édifice psychologique, en terme d’efficacité, de simplicité, d’économie, de confort de vie. Il n’est pas question de juger les croyances, encore moins de les placer dans les cases dogmatiques que sont la vérité et l’erreur. Il n’y a rien à prouver ici, rien à démontrer : seulement un processus stratégique à mettre en lumière, avec l’accompagnement bienveillant de celui qui se connaît suffisamment pour reconnaître qu’un tel édifice a dû être hautement nécessaire à une époque donnée.

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Se produit alors une chose surprenante mais non moins évidente : lorsque le besoin originel est reconnu, lorsque la stratégie est débusquée et lorsque les deux protagonistes recherchent ensemble de nouvelles stratégies pour nourrir le besoin ; alors la tension s’apaise, l’urgence se fait moins oppressante, le corps se relâche. C’est l’occasion d’une libération énergétique, et sa coloration est très souvent celle de la tristesse. Tristesse profonde, liée à la réalisation que j’ai manqué de nourriture, à un moment où j’en avais tant besoin. Deuil d’une vie équilibrée, sereine, nourrissante. Compassion pour cette part de moi, cet enfant intérieur qui n’a pas été respecté dans ses besoins, qui n’a pas été aimé pour ce qu’il était : un trésor. Selon moi, il n’y a pas d’autre soinin fine, que l’écoute de cet enfant blessé, accompagnée d’une empathie profonde pour la pureté et l’innocence du trésor qui vient au monde, qui s’incarne dans ce monde. Tout l’attirail philosophique du thérapeute ne font que permettre et faciliter ce mouvement d’empathie, dans lequel l’adulte se met au service de l’enfant qui crie en lui, qui crie en l’autre. Il n’y a pas d’autre but.

Conclusion

Les personnes qui viennent me voir, moi le philothérapeute, sont souvent des personnes en quête de sens. La philosophie, après tout, s’est construite sur cette quête. Ce qu’ils cherchent en premier lieu, c’est à comprendre la signification de ce qui leur arrive. C’est le premier des trois sens du concept de « sens ». En général, ils ont toutes les clés en main, mais une partie d’eux préfère ne pas regarder leur réalité en face. Il suffit de leur montrer ce qu’ils savent déjà, plus ou moins inconsciemment. Mais cela ne suffit pas.

Trouver un sens à sa vie, cela veut aussi dire « lui donner une direction ». C’est le deuxième sens du concept de « sens ». Il existe de nombreuses directions possibles : foncer en avant sans jamais se retourner, toujours regarder derrière soi avec inquiétude, tourner en rond sans fin, s’enfoncer dans une spirale descendante, un cercle vicieux ; ou encore s’élancer dans une spirale ascendante, un cercle vertueux. Choisir la direction que l’on veut donner à sa vie, en toute conscience, c’est déjà un grand pas. Savoir que l’on peut à tout moment changer de direction, en faire l’expérience : c’est enthousiasmant. Mais cela ne suffit toujours pas.

philothérapieRetrouver un sens à sa vie, au final, c’est peut-être avant tout retrouver le plein usage de ses sens, de ses sensations, de sa sensualité. La sensualité, avant d’être orientée vers l’extérieur, est selon moi la capacité à vivre pleinement ses propres sensations, à n’en rejeter aucune, à se délecter de toutes. Retrouver le plaisir de sentir ce qui m’arrive, ne plus avoir besoin de mettre mes sensations à distance, parce qu’elles étaient trop douloureuses, à l’époque où certains de mes besoins les plus impérieux n’étaient pas nourris. Retrouver le plaisir d’adhérer à ce que l’on ressent, de « coller à soi », d’être entier dans la sensation. Et retrouver, à travers nos sens, le troisième sens du concept de « sens », indispensable aux deux autres. Nul besoin de comprendre lorsque je suis juste une sensation, entièrement. Nul besoin de chercher une direction lorsqu’elle m’est donnée par la sensation. Toutes les formes de médiation m’amènent doucement à ce point unique et absolu  : ressentir.

La philothérapie, avec tout son édifice analytique et rationnel, ne doit pas m’emmener ailleurs, selon moi. Parfois il est nécessaire de faire des longs détours, pour retrouver le chemin.

Patrick Sorrel
Philothérapeute et praticien en respiration profonde – Grenoble (Isère) France
Facilitateur d’apprentissage et enseignant en philosophie
Tél.: 06 10 99 89 34
Courriel : [email protected]

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Texte partagé par les Chroniques d'Arcturius - Au service de la Nouvelle Terre